https://www.geneveactive.ch/?p=25575 L’exposition du Musée d’art et d’histoire de Genève, organisée pour le tricentenaire de sa naissance, propose de redécouvrir Casanova à travers un épisode méconnu : ses séjours à Genève entre 1750 et 1762. L’association du nom du plus célèbre libertin du XVIIIe siècle avec celui d’une ville réputée austère peut surprendre, et pourtant, la Cité de Calvin a été le théâtre de moments décisifs de sa vie.
À Genève, Casanova vit une déchirante séparation avec Henriette, son grand amour, mais aussi des échanges passionnés avec Voltaire, installé aux Délices. Ces épisodes révèlent les trois facettes essentielles de sa personnalité : l’amoureux, le libertin et l’homme de lettres. L’exposition souligne également que, derrière l’image d’une ville rigide et sévère, Genève au milieu du XVIIIe siècle est une cité prospère, ouverte aux idées nouvelles, où fleurissent les salons littéraires, les cercles de jeux et les fastes d’une riche bourgeoisie éclairée.

Johann Joachim Kaendler (1706-1775) , La Leçon de clavecin, vers 1741. Porcelaine moulée, décor peint aux émaux polychromes et à l’or ; haut 17,5 cm. © Musée Ariana, photo : Angelo Lui
Mais ce tableau brillant ne doit pas masquer une part plus sombre. Casanova, opportuniste, se montre parfois manipulateur, intéressé, voire violent dans ses relations avec les femmes. Les séductions qu’il raconte avec légèreté sont aussi marquées par des déséquilibres de pouvoir et des zones d’ombre que l’historiographie contemporaine ne peut ignorer.
Le parcours scénographique s’appuie sur les Mémoires de Casanova, conçus comme une vaste pièce de théâtre où il s’attribue le premier rôle. Le visiteur traverse un prologue et cinq actes, évoquant tour à tour la séduction, la littérature, les voyages et la société des Lumières. La reconstitution d’intérieurs patriciens rappelle le goût raffiné des élites genevoises pour l’architecture et le confort, tandis que les anecdotes tirées des écrits de Casanova replacent chaque œuvre dans son contexte.

Adolf Gnauth (1812-1876. D’après Julius Nisle (1812-1850) J. Casanova, [Bruxelles ou Paris ?], Stuttgart, vers 1870 Planche 39, détail : Amusements à Genève © Collection Bignami, Gênes
Mais au-delà de cette approche érudite, le musée assume une stratégie de séduction très contemporaine. Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par une distribution de préservatifs, clin d’œil racoleur à la réputation de l’aventurier. Si certains y verront une note d’humour, d’autres percevront surtout une opération marketing destinée à attirer un public large par l’entremise d’un symbole facile. Le procédé illustre bien la tendance actuelle du marketing culturel : appuyer sur les clichés les plus vendeurs – ici le libertinage – quitte à occulter d’autres dimensions plus subtiles du personnage.
Ce choix interroge : en insistant sur le côté érotique, ne risque-t-on pas d’éclipser l’intellectuel, l’écrivain, l’homme curieux de savoirs qui fut aussi Casanova ? Le pari du musée ressemble parfois à celui de Casanova lui-même : plaire à tout prix, quitte à brouiller les frontières entre profondeur et séduction. Le sexe faisait vendre au XVIIIe siècle dans les récits scandaleux, il continue d’attirer au XXIe dans les expositions temporaires.
En rendant hommage à ce « chevalier d’industrie » insaisissable, l’exposition révèle finalement autant les ambiguïtés de Casanova que celles de nos institutions culturelles : entre recherche savante et accroche racoleuse, entre érudition et divertissement. Genève, ville de passage et de rencontres, devient ainsi le miroir d’un destin européen toujours fascinant, mais aussi celui de notre manière contemporaine de « vendre » le patrimoine en le parfumant d’un soupçon de scandale.
Casanova à Genève – Un libertin chez Calvin
20 septembre 2025 – 1er février 2026
Musée d’art et d’histoire
Rue Charles-Galland 2
Genève

