Le pape François sur les traces d’Angelina Jolie à Lampedusa

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Lampedusa, dolce vita pour les Européens, enfer pour les extra-communautaires. Photos Jacques Magnol.

Les personnalités défilent à Lampedusa pour attirer l’attention sur le sort des milliers d’immigrés qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie afin d’échapper aux guerres, aux dictatures, à la famine. Pendant ce temps, stoïque, l’Europe multiplie les obstacles à l’immigration et un magazine de voyages décerne à une plage de l’île le titre de “plus belle plage du monde”.

Le 9  juillet, le pape a effectué son premier voyage dans le but de « prier pour les gens qui ont perdu la vie en mer » et notamment les immigrés qui affluent en masse depuis les événements qui secouent le Nord de l’Afrique. La course aura duré trois heures et demie, soit le temps d’atterrir sur l’ancien l’aéroport militaire, embarquer sur un bateau pour arriver au port comme un immigré naufragé avant de prononcer un discours sur la tolérance, dire la messe, et repartir pour Rome. Deux ans plus tôt, le souverain pontife avait été précédé par l’actrice Angelina Jolie venue aussi parler de tolérance, juste après Marine Le Pen qui, elle, pour prêcher l’intolérance et la fermeté avait bouclé sa visite en une heure.

A chaque voyage reviennent les paroles encore prononcées le 8 juillet par Giusi Nicolini, maire de Lampedusa : “Désormais, le monde ne pourra plus fermer les yeux sur le cimetière de la mer”. Le pape François s’est senti, selon la note des services du Vatican, “profondément touché par le récent naufrage d’une embarcation qui transportait des migrants venus d’Afrique, dernier épisode de tragédies analogues, il veut rencontrer les survivants et les immigrés présents, encourager les habitants à faire appel à la responsabilité de tous afin qu’ils prennent soin de ces frères et soeurs dans le dénuement extrême”.

Pourquoi se montrer si pessimiste ?

Aux portes de l’Europe, de l’Italie à la Grèce, en passant par Malte, les conditions imposées aux réfugiés sont identiques. Les réfugiés et les migrants qui tentent d’atteindre l’Union européenne (UE) via la Grèce depuis des pays déchirés par la guerre comme la Syrie et l’Afghanistan sont renvoyés illégalement en Turquie par les garde-côtes et garde-frontières grecs, révèle Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public ce mardi 9 juillet 2013.

Depuis le mois de mars, Amnesty International s’est entretenue avec une trentaine de personnes en Grèce et en Turquie qui, dans pas moins de 39 épisodes distincts, ont été interceptées alors qu’elles tentaient de franchir la frontière entre les deux pays en traversant la mer Égée ou le fleuve Evros, dans le nord du pays. La plupart de ces personnes ont raconté avoir été victimes ou témoins de violences ou de mauvais traitements infligés par les autorités grecques. Beaucoup ont expliqué que les garde-frontières avaient confisqué leurs affaires, y compris leur argent, leurs photos et leurs objets de famille, et les avaient dans certains cas jetés à la mer.
Les témoignages recueillis par Amnesty International révèlent que les garde-côtes grecs font preuve d’un mépris flagrant pour la vie humaine lors de ces opérations menées en mer Égée. Sur 14 personnes interrogées par l’organisation qui avaient été renvoyées en Turquie, 13 ont raconté que leur bateau pneumatique avait été heurté, perforé à coups de couteaux ou presque coulé alors qu’il était remorqué ou bloqué par un bateau des garde-côtes grecs. Les moteurs de leurs embarcations ont été mis hors service et leurs rames enlevées, puis ils ont tout simplement été abandonnés en pleine mer. Ce genre de pratiques mettant la vie en danger a également été signalé par des personnes interceptées alors qu’elles traversaient le fleuve Evros.

Un itinéraire qui tue
L’itinéraire qui passe par la mer Égée est de plus en plus emprunté depuis 2012, date à laquelle les autorités ont construit un mur de 10,5 kilomètres de long et déployé près de 2 000 nouveaux gardes le long de la frontière qui borde le fleuve Evros. Toutefois, ce passage est périlleux. Ceux qui s’y risquent peuvent être repoussés par les autorités. En outre, depuis août 2012, plus de 100 personnes – dont des femmes et des enfants, pour la plupart des Syriens et des Afghans – se sont noyées en tentant d’atteindre la Grèce.

Le rôle de l’UE et de la Suisse

L’UE a également un rôle à jouer. Elle doit apporter son soutien à la Grèce, en contribuant à améliorer les services d’accueil, au lieu de boucler les frontières. L’UE doit aussi explorer de nouveaux moyens de partager les responsabilités vis-à-vis des réfugiés et des migrants. En tant que membre de Frontex, la Suisse doit insister pour que les droits humains soient respectés aux frontières de l’Europe. «De toute évidence, la Grèce a le droit de contrôler ses frontières, mais pas au détriment des droits fondamentaux de ceux qui recherchent la sécurité ou une vie meilleure en Europe. Les temps sont durs en Grèce, tout comme pour des millions de personnes à travers l’Europe, mais ce n’est pas une excuse pour traiter les réfugiés et les migrants de cette manière, a poursuivi Jezerca Tigani, directrice adjointe du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.» Extrait du rapport Frontier Europe: Human Rights Abuses on Greece’s border with Turkey.

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Avec ses eaux transparentes, son sable blanc et fin, provisoirement préservée du tourisme de grande masse, à la “porte de l’Europe”, Lampedusa satisfait les fantasmes de plages “de rêve” et de criques désertes des Européens. C’est la “plus belle plage du monde” pour Trip Advisor. Pour les extra-européens qui rêvent simplement d’un travail, ses côtes plus proches de l’Afrique (140 km) que de la Sicile (200 km) représentent la fin d’un dangereux voyage parfois commencé en Ethiopie. Photo Jacques Magnol.

7’913 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes, dont 3648 sur l’île de Lampedusa, lors du premier semestre 2013, et c’est le double du premier semestre 2012, en 2011, au plus fort des événements en Tunisie, les 6’000 habitants de Lampedusa ont vu arriver sur leur île jusqu’à 1’000 migrants chaque nuit.

En juillet 2011, Angelina Jolie était à Malte avec son époux qui participait au tournage du film zombie World War Z, d’un coup d’ailes de son jet personnel elle passa quelques heures à Lampedusa en qualité d’ambassadrice du UNHCR, flanquée du Haut commissaire aux réfugiés ainsi que du vice-préfet d’Agrigente  et autres VIP. Elle avait abrégé circuit complet qui prévoit une arrivée par la mer mais s’était toutefois soumise au relevé des empreintes digitales comme tout « extra-communautaire » secouru par la marine Italienne.  La star a prononcé quelques phrases inoubliables « Lampedusa est une île magnifique, c’est la première fois que je viens, mais je pense que je reviendrai. (…) Regardez comme la mer est belle, c’est douloureux de penser que tant de gens ont risqué leur vie et que beaucoup l’ont perdue. (…) Ce monde a besoin de plus de tolérance. »

Le 10 mai 2013, les gardes-côtes Italiens ont secouru 98 personnes entassées sur un bateau en caoutchouc, parmi elles se trouvaient dix-sept femmes et deux nouveaux-nés. Le 29 mars, ils étaient 200 sur deux bateaux du même type.

“La chaleur qui règne sur la petite île de Lampedusa, à la limite la plus méridionale de l’Italie, est torride. Quelles chances de survie mon propre petit garçon de trois aurait-il eu dans cette chaleur s’il était échoué sur la côte, dans un bateau sans eau, sans nourriture, sans carburant ? Aurait-il survécu trois jours ? Peut-être quatre ?
Des centaines de migrants, y compris des enfants, sont morts dans des conditions analogues. Le cimetière de bateaux de Lampedusa nous le rappelle avec force. Sur chacune de ces embarcations, des centaines de personnes ont vécu, ont espéré et sont mortes. (…) Pourquoi notre mémoire est-elle si courte ? Pourquoi avons-nous oublié cette époque, récente, où les Européens devaient fuir la guerre, la torture et la faim ? Des gens meurent à la porte de l’Europe. Allons-nous leur venir en aide ou simplement continuer à financer les efforts visant à les repousser ?” Nicolas J. Beger, directeur du Bureau des institutions européennes, Amnesty International.

L’Europe est en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente. Pour lutter contre une prétendue « invasion » de migrants, l’UE investit des millions d’euros dans un dispositif quasi militaire pour surveiller ses frontières extérieures : FRONTEX. Cette agence intervient pour intercepter les migrant.e.s aux frontières et les renvoyer par avion.
Contre ces migrants en détresse, et pour confirmer le durcissement de sa politique migratoire, le gouvernement italien a adopté une nouvelle loi en juillet 2009 qui criminalise l’immigration illégale en instituant le délit de «clandestinité » (Agences : AFP, AP). Cette nouvelle loi fait de l’entrée ou du séjour irrégulier en Italie un délit puni d’une amende de 5’000 à 10’000 euros. En 2007, deux capitaines de pêche ayant secouru des boat people en détresse se sont vus accusés d’aide à l’entrée irrégulière sur le territoire.

Réfugiés, demandeurs d’asile ou migrants ?
– Le terme « réfugié » s’applique aux personnes qui fuient leur pays parce qu’elles y ont été victimes d’atteintes aux droits humains. Cela signifie qu’elles ont été privées de leurs libertés fondamentales, qu’elles ont subi une discrimination ou des violences en raison de leur identité, de leurs convictions ou de leurs opinions, et que leur gouvernement n’a pas pu ou voulu les protéger. Les procédures d’asile visent à établir si la situation d’une personne donnée satisfait ou non à la définition du statut de réfugié. Lorsqu’une personne se voit accorder ce statut par un État, elle bénéficie d’une protection internationale qui remplace celle offerte par son pays d’origine. Voir l’Atlas des Migrants en Europe : http://www.migreurop.org/

Pourquoi quitter la Tunisie ou la Lybie après avoir fait la révolution?
Les débarquements par milliers de migrants tunisiens sur l’île de Lampedusa dans les jours et semaines qui ont suivi la chute du régime de Ben Ali ont suscité de nombreuses interrogations sur les raisons et les facteurs qui ont poussé autant de jeunes à quitter le pays dans lequel ils ont fait la révolution. Pourquoi n’ont-ils pas fêté leur victoire sur la dictature en restant sur place pour savourer la liberté et la dignité si chèrement acquises et pour réaliser leurs rêves?  Rapport de recherche Migrations internationales et Révolution en Tunisie. Janvier 2013.

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Publié dans politique culturelle, société