La jungle est le théâtre où José Gamarra raconte l’histoire des hommes et de leurs pouvoirs. Dans ses œuvres, passé colonial, religion et influence américaine se croisent de manière surprenante.Une exposition anthologique à Xippas Genève.
Depuis la fin des années 1960, José Gamarra déploie un projet artistique engagé, où peinture, dessin et production graphique s’entrelacent pour explorer les formes visibles et invisibles de domination — coloniale, religieuse, culturelle ou politique. Pour l’artiste, la jungle n’est pas seulement un décor : elle devient un théâtre politique et symbolique, où s’affrontent pouvoirs, mythes et imaginaires, et où se révèle la tension entre forces humaines et nature. Cette dimension prend une résonance particulière à l’heure où les tensions géopolitiques actuelles, comme la pression exercée par les États-Unis sur le Venezuela, réactivent des logiques impériales héritées de la conquête coloniale.

José Gamarra , La Vigie, 2024. Huile/toile, 74,7×101,8×3 cm ©Julien Gremaud.
Dans La Vigie (2024), Gamarra cristallise cette réflexion en représentant une pirogue traversant une rivière paisible, mais chargée de symboles. Jésus, un démon et un conquistador espagnol y côtoient Superman, figure emblématique de la culture et de la puissance américaine. En plaçant le super-héros à la barre, l’artiste suggère que le colonialisme, le prosélytisme religieux et l’impérialisme culturel trouvent aujourd’hui leur prolongement dans l’influence nord-américaine sur le continent. La scène s’inscrit dans un dialogue entre passé et présent : la domination coloniale et religieuse se mêle aux formes modernes de soft power et de projection idéologique. Face à eux, la jungle et un personnage autochtone restent les témoins silencieux de cette continuité historique, symbolisant la résistance et la résilience des peuples et des territoires face aux puissances extérieures.
Cette lecture se retrouve dans Amigos (2021), où la forêt luxuriante devient le lieu improbable d’une coexistence entre humains, animaux et figures mythologiques. La jungle y est à la fois décor, acteur et témoin, un espace où la violence, le mythe et la coexistence se superposent. Dans l’œuvre de Gamarra, la selva incarne ainsi le théâtre de tous les conflits et de toutes les ententes humaines, un lieu où les forces de domination et les tentatives de résistance se confrontent dans un équilibre fragile.
En hybridant les temporalités et les cultures — conquistadors et peuples autochtones, figures religieuses et super-héros américains — Gamarra révèle la permanence des dynamiques impérialistes sous des formes renouvelées. Son art nous rappelle que les rapports de puissance, qu’ils soient anciens ou contemporains, continuent de traverser les territoires, et que la nature, tout comme les cultures locales, demeure le dernier espace possible de résistance face à l’emprise des puissances mondiales.
José Gamarra
Murmures dans la forêt
5 novembre au 20 décembre 2025
Xippas Genève
Rue des Sablons 6
Genève



