Entrez, entrez, faites comme chez vous … ou presque

Laurent Faulon. Gâteau (détail), 2025 (avec la collaboration de Siham Manamani). Les photos : Jacques Magnol.

Les deux œuvres, de Laurent Faulon et de Delphine Reist, présentés à la Villa Bernasconi, sont distincts mais leur disposition fait aussi ici œuvre commune.

La hache, arme des plus sanglants films d’horreur est plantée dans le gâteau, posé au milieu de la salle de réception à même le sol. Au mur, le papier peint aux élégants ramages verts est fait de giclures au jet d’arrosage. Des manteaux de fourrure, encrés et passés sous un rouleau compresseur donnent de magnifiques monotypes. Leurs titres, des prénoms un peu démodés, évoquent une époque  révolue. Sur le poêle en faïence une hermine et un écureuil empaillés, une figurine de toréro souvenir de corrida composent une nature morte complétée d’un dessin d’enfant : « La famille peur » de Urs, le fils de Delphine Reist et de Laurent Faulon. Des paysages et des nus féminins du père de Laurent Faulon sont accrochés à l’étage.

Laurent Faulon, Table, 2008.

C’est en famille qu’ils habitent la maison. Habité, du haut en bas, comme on le dit des lieux ou des personnes qui ne laissent pas indifférents.

Les sols des étages ont été uniformément recouverts d’une moquette blanche ; alors comme à la maison il faut se déchausser pour ne pas salir. Le sous-sol avec ses étagères mime le dépôt autant que l’atelier. Une moto couverte de boue, des matériaux bruts, des sceaux, des instruments de fitness, une immense sculpture rose en papier mâché sanglée sur une table comme en attente d’être finie … l’inventaire n’est pas exhaustif que déjà les pistes se brouillent. Qu’est-ce qui est œuvre et de qui ? Qu’est-ce qui ne l’est pas encore ? Et voilà déjà la question mal posée puisque tout, même la radio branchée qui joue toute seule au fond compose cette installation à deux mains. Les deux œuvres, de Laurent Folon et de Delphine Reist, sont distincts mais leur disposition fait aussi ici œuvre commune.

Delphine Reist, Collier, 2014-2020, pneus cousus.

Vous n’êtes pas à la maison et pourtant on s’y croirait … à quelques détails prés. Regardez bien, le diable se cache dans les détails et rien n’est simple, ce n’est pas compliqué non plus mais complexe. La serpillère oubliée dans le hall d’entrée est un bronze peint, le sceau d’eau moussant et son balai est une fontaine. La planche à repasser est pochoir pour des motifs de grille. Le fer, entré dans l’histoire de l’art avec Man Ray est ici posé à côté de son empreinte – sujet au combien questionné par l’art – sur la moquette. Le pied d’une grande table ovale en plastique fond sur une plaque électrique. Si tout cela semble bien familier c’est aussi de sculpture, de motifs, de matériaux et de procédures de mise en œuvre dont il est question. Les culottes aux dentelles fleuries servent certes de pochoir, mais leur impression en blanc sur fond violet de grève féministe ne font pas que tapisserie pas plus que les chaines de voiture rangées comme des bijoux ou les pneus cousus en un collier démesuré.

Les cuillers qui tournent dans des tasses, les stores à lamelle du bureau qui s’ouvrent et se ferment tout seul sont étranges. Pour une fois, sans que ce ne soit galvaudé, l’inquiétante étrangeté est bien présente quand ses objets s’animent.

Laurent Faulon, Idéal standard, 2023, céramique émaillée.

La moquette blanche feutre l’ambiance, mais l’immaculé et l’assourdi ne sont qu’illusion. La salle de bain encombrée de lavabos en céramiques fait main, de l’eau stagnante et boueuse dans la baignoire, un réseau de tuyauterie apparente qui court dans les pièces voisines, un grand boudin de terre crue, ocre et les traces de main sur les murs font moins propre, plus malade aussi. Un bidet, emblématique des hôtels de passe est aussi ajouté dans les toilettes visiteurs.

Laurent Faulon, Chambre double, 2025, terre crue, sangles.

Le propre et le sale se côtoient forcément, c’est la vie !

 

Laurent Faulon, Stabulation libre (détail), 2025.

Des perceuses, chacune d’une couleur différente plantées dans le sol évoquent avec leurs fils de gros tubes avec leurs traces de peinture. Mais que dire de « stabulation libre ? » trayeuses à vaches connectées à des baudruche animalières et de cet étrange petit personnage intubé en dessus de la porte au sous-sol ? Le comique grotesque  frise le grinçant et vice-versa dans une proximité avec Paul McCarthy.

Ce n’est pourtant pas la maison hantée des fêtes foraines, rien d’aussi spectaculaire. Dom n’est pas une attraction mais bien une exposition et comme à la maison tout n’est pas aussi rose – de ce rose chair des dessins naïfs – que certaines des sculptures exposées.

Laurent Faulon, Petit théâtre aux armées, 2018.

Dans un renfoncement au seuil de l’escalier allant au grenier trois marionnettes à gaine sont montées sur des tuyaux et adossés au mur, comme des têtes sur des piques. Ces personnes de castelet portent en masques les portraits de Marguerite Duras et Otto Muehl, encadrant celui de Grégory Villemin. C’est comme le père, la mère et l’enfant des photos de famille. Sauf que ça rappelle de sombres histoires. Co-fondateur de l’actionnisme Viennois, Muehl est aussi chef et père universel d’une communauté qui  prônait l’amour libre. En 1991, il est condamné à sept ans de prison pour viols et abus sur mineurs. Grégory Villemin, quatre ans, est retrouvé noyé, pieds et poings liés, dans la Vologne en 1984. Cette affaire criminelle et de famille connais aujourd’hui encore des rebondissements. A la mise en examen de la mère, Marguerite Duras publie dans Libération « Sublime, forcément sublime Christine V. » texte qui pose sans aucune preuve l’infanticide comme évident, contrevenant ainsi aux règles de présomption d’innocence. Ce trio, comme les articles de Libération sur la mise en examen de Claude Lévêque pour viols et agressions sexuel sur mineurs et contre lequel Laurent Folon a porté plainte, semblent donner des clefs de lecture de certaines œuvres.

Laurent Faulon, 26 bis rue Instituteur Pitié, 2025.

Mais Duras sert aussi d’épouvantail contre les mots qui viendraient tout expliquer et tout confondre, rabattre et aplatir ce qui est justement mis en œuvre si subtilement. Domus n’est pas un plateau de Cluedo, il n’y a pas d’énigme à résoudre si ce n’est la vôtre.  Dans la véranda, un chien tricéphale, cerbère de cartoon, céramique entourée de bonbons et boissons sucrées frelatées est décapité. La voie est libre, vous pouvez y aller. L’art et ses leurres se déploient à tous les étages, prenez votre temps, regardez bien et comme le dit Claudel  «  C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouvez pas amusant qui est le plus drôle. »

Claude-Hubert Tatot

DOM
Laurent Faulon et Delphine Reist
jusqu’au 6.7.2025

Villa Bernasconi
Route du Grand-Lancy 8
1212 Grand-Lancy

Ouvert du mercredi au dimanche, de 14h à 18h Entrée libre

Publié dans art contemporain, arts, expositions