A Genève, Julien Assange rappelle que l’être humain est capable de ça

Julien Assange

Julien Assange à  Genève, le 4 novembe 2010.

Ce matin du vendredi 5 octobre, la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme examine la situation des droits de l’homme aux Etats-Unis. La veille, Julien Assange, le fondateur de WikiLeaks, était à  Genève pour appeler les Etats-Unis à  enquêter sur les suppositions d’abus commis par ses troupes en Irak et en Afghanistan.

La présence policière était particulièrement visible ce vendredi autour du “Club suisse de la presse” au Grand-Saconnex, mais Guy Mettan, le maître des lieux, n’était pas là  pour l’accueillir comme il en a l’habitude avec les visiteurs médiatiques. C’est lors d’une conférence de presse dans une salle exigüe, trop largement occupée par des employés venus en voisins de divers services des ONG, ou organisations internationales, que Julien Assange a détaillé tous les procédés mis en oeuvre pour empêcher WikiLeaks de dévoiler ce qu’il présente comme des violations des “Conventions de Genève”. Et cela dérange.

“Assange nourrit de vérité par la force un monde qui n’en a aucune envie”

Assange dit que les Etats Unis n’ont pas tenu compte des 400’000 documents publiés par Wikileaks, documents qui recensent les méthodes de torture et d’assassinat pratiquées dans la guerre en cours contre l’Irak, l’Agfhanistan et d’autres pays. Plutôt que d’enquêter sur les cas signalés et largement détaillés, selon Assange, les Etats Unis concentrent tous leurs efforts sur la recherche des individus qui auraient transmis à  l’organisation les documents relatifs à  ces crimes de guerre et contre l’humanité.
Bien que publiés simultanément par le New York Times, Der Spiegel et The Guardian, les centaines de milliers de documents qui prouvent que les plus hautes autorités des Etats Unis et de leurs alliés ont menti sur la conduite de la guerre, et ont autorisé des crimes qu’ils réprouvent lors qu’ils sont pratiqués dans des pays de culture différente, les médias et les populations ne se sont pas montrés soucieux de recherche de vérité. Au contraire, nous assistons en Europe, notamment en Italie et en France, à  des attaques conduites contre l’Internet qui représenterait un « danger pour la démocratie » ainsi qu’à  un dénigrement tant des militants de WikiLeaks que de ses informateurs. Le 29 octobre, The Guardian remarquait ainsi « Assange nourrit de vérité par la force un monde qui n’en a aucune envie ».

A Genève, lors de la séance de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, les Etats Unis s’attendent à  une forte levée de critiques de la part de pays en voie de développement qui sont déjà  désignés par la grande puissance mondiale comme partiaux et « islamiques ». De rares pays européens comme la Norvège ou la Grande-Bretagne s’inquiètent d’une « application arbitraire de la peine de mort » et des centaines d’organisations de défense des droits de l’homme soulignent l’érosion des libertés individuelles depuis le 11 septembre 2001. Aux Etats-Unis, la récente victoire des Républicains aux élections de novembre, parti qui exprime régulièrement son mépris pour l’ONU, a redonné de la voix à  ses représentants qui accusent déjà  la commission d’être hautement politique.

La « Revue Périodique Universelle » examine tous les quatre ans la situation des droits de l’homme chez chacun de ses 192 membres. Pour Ban Ki-moon, le secrétaire général, la commission a « un grand potentiel pour promouvoir et protéger les droits de l’homme dans les endroits les plus noirs de la planète ». Les Etats-Unis admettent que des problèmes persistent, tels la discrimination contre les Afro-américains et son attitude vis à  vis de l’immigration illégale, ils se défendent cependant d’ignorer les droits de l’homme comme le font d’autres « régimes répressifs ».

Des guerres sans images

Les médias occidentaux qui ont mis auparavant un point d’honneur à  couvrir de manière indépendante toutes les dernières guerres ne traitent plus ces sujets que sous l’angle de la propagande officielle. Plus d’enquêtes, plus d’images non plus des crimes commis puisque ces guerres sont « justes ».
Il y a désormais trop d’images, elle sont susceptibles de nous submerger de leur puissance sensible ou de nous anesthésier, relève Jacques Rancière* :

«Les images nous aveuglent, dit-on aujourd’hui. Ce n’est pas qu’elles dissimulent la vérité. C’est qu’elles la banalisent. Trop d’images de massacres, de chairs ensanglantées, d’enfants amputés, de corps empilés dans des charniers nous rendent insensibles à  ce qui est pour nous un spectacle, peu différent, au demeurant, de ceux qu’offre la fiction des films gore. Aussi restons nous indifférents devant les crimes de masse qui devraient susciter notre indignation et notre intervention. »

« Qui décide ce que le public mondial doit voir ou pas. De quel droit? »

Lors des attentats du 11 septembre 2001, aucune photo des victimes n’avait été publiée car, selon les responsables des principaux médias étatsuniens, elles auraient été de « mauvais goût ». Susan Sontag** se méfiait de ce genre de réponse:

«Invoquer le mauvais goût alors que nos sociétés contemporaines, à  des fins commerciales, sont saturées de mauvais goût, je trouve ça suspect. Derrière cette raison, il y en a une autre, nettement plus troublante, qui concerne le rôle exercé par les Etats Unis sur ce que le public américain, et par extension le public mondial, doit voir ou pas. De quel droit? (…) Je suis partisan de publier ce genre d’images et même toujours plus. Pour une raison essentielle: notre mémoire est faite de plans fixes. Si elle n’est pas nourrie d’images, de photographies, c’est beaucoup plus facile de devenir amnésique. Lorsque j’avais 12 ans, dans une librairie de New York un peu poussiéreuse, j’ai ouvert un livre sur les camps de concentration où étaient insérées vingt-quatre photos. Vraiment le choc. Surtout cette photo de centaines de lunettes de déportés entassées en pyramide. Derrière chaque paire de lunettes, il y avait eu un homme, une femme, un enfant. Ce qui était abstrait, de l’ordre du ouï-dire, est devenu réel. L’être humain était capable de ça. »

Il l’est toujours. “Nulle barbarie n’est comparable au colonialisme” relève Mario Vargas Llosa, le Nobel de littérature 2010, qui évoque dans Le Rêve du Celte, son dernier ouvrage, les atrocités du colonialisme d’extermination (dix millions de morts) pratiqué au Congo par Léopold II. Julien Assange est venu rappeler à  Genève que les “libérateurs” torturent à  mort en Afghanistan, en Irak, et tuent des civils au hasard, entre autres exactions. Les éco-guerres menées actuellement pour le contrôle des ressources naturelles justifient “ça”.

Jacques Magnol

* “La mémoire est faite de plans fixes”, Susan Sontag, interview, Libération, 11 octobre 2003.
** “Le Théâtre des images”, Jacques Rancière, 2007.

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