Surveillance 2.0 : retour de la biométrie et multiplication des robots-tueurs

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 Les théories de Bertillon, adepte des techniques destinées à  faire parler le corps reviennent avec la biométrie. Les tentations de mise en évidence d’un isomorphisme entre certaines données physiques du corps et des dispositions morales de l’individu, comme le penchant au crime, sont anciennes, mais refont parler d’elles.

La biométrie, dernier avatar d’une société obsédées par l’organisation et le contrôle

Les progrès informatiques faits en matière de traitement d’images, notamment pour la reconnaissance de forme, ont permis d’élargir le champ des parties du corps dont les caractéristiques sont susceptibles d’être calibrées en vue d’une reconnaissance spatiale: les empreintes digitales sont encore les plus fréquemment utilisées, suivent la main, l’iris, la rétine, la géométrie de l’oreille ou du visage. La biométrie fait ainsi un retour au service de la surveillance par des applications automatisées adaptées à  la reconnaissance des individus. Leur champ d’action est toujours plus vaste qu’il s’agisse de restreindre l’accès à  des aéroports ou contrôler les clients d’une cantine scolaire, identifier un utilisateur dans le cas de transactions automatisées, de rechercher un individu dans une foule ou de distinguer l’appartenance à  une catégorie juridique particulière, par exemple dans le cas de la surveillance des flux migratoires.

Si la biométrie est un dispositif de comptage et de contrôle destiné à  réguler les flux de façon optimale, ses objectifs sont, ou devraient être, fixés par les politiques.
Lors du colloque de la Société Suisse de Sociologie, qui s’est tenu à  Genève, Gérard Dubey a distingué le retour de la biométrie comme un dernier avatar d’une société obsédées par l’organisation et le contrôle. « La biométrie aujourd’hui indissociable du processus d’informatisation de la société sert un impératif de traçabilité des êtres vivants qu’imposerait une société d’individus structurée en réseaux. »
Gérard Dubey s’étonne de la faiblesse des réactions que suscite le déploiement de techniques qui rabattent a priori l’identité sociale sous un déterminant physique et donc par conséquent dans le sens d’une normalisation contraire aux aspirations des individus à  la reconnaissance.
« Ces techniques sont censées donner plus de confort aux usagers, fluidifier les passages, faciliter et fiabiliser les contrôles d’identité, bref améliorer la sécurité. On insiste moins sur le fait qu’elles vont se traduire, comme tout processus d’automatisation, par la suppression de médiations sociales ou humaines.  Or, on le sait, la disparition progressive de la présence humaine renforce le sentiment d’insécurité, devient une nouvelle source de stress et d’agressivité. »
Aujourd’hui, nombre de projets qui visent par exemple à  discriminer des comportements qualifiés d’anormaux sur la base d’éléments biométriques intégrés à  des logiciels de reconnaissance et de surveillance vont dans ce sens, mais, pour l’essentiel, selon le sociologue, la référence à  un tel isomorphisme est largement absente. La technique semble porter en elle-même sa propre justification et s’être émancipé de tout contenu moral.

A buts commerciaux ou policiers, les outils de surveillance prolifèrent
L’industrie de la sécurité a mis l’accent sur les risques et la nécessité d’offrir un maximum de protection à  l’individu confronté à  un environnement jugé a priori hostile et menaçant et des politiciens ont saisi l’aubaine pour demander ou décider la multiplication des dispositifs de contrôle. L’enjeu est immense pour les entreprises du secteur, le prix d’un scanner corporel pour aéroport se situe autour de 250’000 CHF, la panique aidant, leur usage, et donc leur nombre, pourrait être étendu aux gares, aux administrations publiques, aux universités, car l’accroissement relatif de la criminalité et de la violence dans notre société n’épargne pas les campus universitaires, etc. Cependant, pour les sociologues français qui ont travaillé avec la Défense nationale, les utilisateurs de ces dispositifs les estiment inaptes à  prévenir un acte terroriste.

Coté libertés, le discours commercial assure qu’il n’est pas certain que dans les sociétés démocratiques la sécurité soit toujours susceptible de nuire aux libertés individuelles, la normalisation/numérisation version Big Brother est bien en marche, par exemple avec Project Indect, le programme lancé par l’Union Européenne.
L’objectif de Projet Indect, doté de 15 millions d’euros sur 5 ans, est de développer des logiciels « agents » aptes à  surveiller et traiter l’information recueillies sur les sites web, les forums de discussion, les fichiers dans les serveurs, les échanges peer-to-peer, ainsi qu’installer des mouchards électroniques, des chevaux de Troie pour l’écoute à  distance, rendre possible la surveillance à  distance des appareils et objets mobiles, analyser en toute liberté, toujours à  distance, le contenu des ordinateurs personnels et géolocaliser les internautes. Ce sont donc les détails les plus intimes de la vie quotidienne qui seront collectés à  partir d’appareils de communication mobiles qui sont tout sauf anonymes. Les buts officiellement poursuivis visent, entre autres, à  détecter les dangers potentiels et les comportements anormaux ou violents.
Dans un environnement truffé de capteurs plus rien ne peut échapper à  des dispositifs de surveillance couplant la reconnaissance spatiale d’un microphone à  une caméra pour localiser précisément la source d’un bruit, une triple caméra HD 360, un amplificateur de lumière, une caméra thermique, un radar, un micro laser destiné à  espionner les conversations, un haut-parleur pour dicter des ordres. Des minidrones peuvent être dotés des armes adéquates, automatisés ou pilotés à  distance pour “neutraliser” les cas particuliers, et des armées de “robots-tueurs” sont en cours de constitution pour les opérations de grande envergure. à Middlesbrough, en Grande-Bretagne, des caméras équipées de hauts-parleurs rappellent les contrevenants à  l’ordre.

Quand le poète devient inquiétant
Comment définir un comportement dysfonctionnel, anormal, inapproprié ou en conflit avec les normes sociétales de l’époque ? Hors le cas récent qui a conduit un épileptique à  être assassiné au “Taser” dans un aéroport nord-américain, ce peut être aussi un simple poète, un écrivain* raconte ainsi comment lors d’une promenade au bord de la Seine, à  Gennevilliers, premier port fluvial de France, il provoqua la suspicion de la maréchaussée en s’allongeant dans l’herbe : « Un talus. Et la Seine à  vos pieds qui vous regarde en silence. Je reste parfois des heures à  regarder la Seine. Dans la Seine, je vois passer le monde ouvrier englouti. (…) Puis une péniche passe et puis tout disparaît. Parfois une voiture de police avance lentement vers moi. Coupe le moteur. Et m’observe. Comme je ne bouge pas, les agents sortent de la voiture, demandent mes papiers. « Laisse tes mains sur le capot et explique nous ce que tu fais ici. » Je réponds que je suis écrivain et que j’écris un roman. « Ah oui, allongé dans l’herbe ? » …

Jacques Magnol

* GENNEVILLIERSroman 0708, Pascal Rambert, Les Solitaires Intempestifs, 2007.

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La mise en réseaux de plus d’un milliard de personnes sur la planète a induit des changements profonds dans notre société. Entretien avec Sami Coll. décembre 2006.

Sur le Web :

Liberté et sécurité.  Programme de recherche de la Commission européenne.
Biometrie online

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Un commentaire pour “Surveillance 2.0 : retour de la biométrie et multiplication des robots-tueurs
  1. datito dit :

    Les politiciens sont forts pour imposer des contrôles inutiles, mais à  Strasbourg ceux qui devraient être fébriles, ce sont surtout les ressortissants de l’Union européenne : le lieu où se décide une partie de leur avenir est aussi peu sécurisé qu’une supérette de quartier…
    http://www.marianne2.fr/Comment-Grazia-a-remplace-Dati-a-Strasbourg-Inquietant!_a183458.html

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