Wagner-Nietzsche : fatale amitié et corps ouverts signés Jan Fabre

 suite de la page 2

 

fabre167

La répétition magnifiée

Au centre, dans une position radiante, l’opus voit une ballerine classique, de dos qui, imperturbablement s’applique à ses dépliés pendant qu’autour d’elle, c’est la querelle vestimentaire entre le noir de l’uniforme du labeur chorégraphique en répétition et le retourné de cet habit de pensionnat chorégraphique en armure de cosmonaute façon boules à facettes. Cette métamorphose se fait au sein d’un jeu enfantin activant une joyeuse meute entre initiation et bizutage. Dans ces pliés et ouverture de dos, Jan Fabre n’a pas oublié qu’en allemand une répétition se nomme « Probe », tentative. Et la pièce trouve ici le geste classique que possède et irradie la composition scénique en constellation souvent symétrique de danseurs répartis sur scène et jouant sur la figure sans cesse retournée du double. D’où cette profonde solennité dénuée d’émotions qui fait pendant au désordre de la ronde vestimentaire. Ordre et chaos, un couple qui se retrouve au détour d’un autre épisode qui révèle les corps des danseurs en paillettes métallisées tentant de débonder, déborder, un temps, la discipline de mise en forme et figement que leur impose un danseur tuteur les remettant toujours en place en les plaquant au cyclo du fond de scène.

La répétition des mots et phrases (dates, titres et chorégraphes d’ouvres du répertoire) par les danseurs altèrent signification été contenu, comme dans cette course en surplace hypnotique de fitness rageur, transformant le langage parlé en des cris. Incroyable effort de trente minutes imposé au danseur qui parachève l’exercice non par une séance de défibrillation mais une pause cigarette menée nonchalamment en front de scène.

Si le langage du ballet classique canonisé par Balanchine a souvent été le point de départ pour redéfinir la danse aux yeux de Fabre, l’univers des contes de fée et de l’amour courtois sont sources d’éprouvante fable mouvementiste. Ainsi ce quintet de chevaliers dénudés portant leur belle défunte au tombeau comme dans une pietà qui s’achève en front de scène. Sauf que la Belle revient promptement à la vie, se redresse magnifiquement, marque sa hanche à gauche, ondoie et s’évanouit à nouveau dans la mort. La séquence est maintes fois répétée et la souffrance, la pénibilité de ce fardeau amoureux sisyphien se lit dans la sueur, la crispation musculaire et le faite que les amantes sont in fine plus traînées que portées et finiront par s’effondrer sur elles-mêmes, pareilles à une flamme qui s’éteint.

Le corps s’autodiscipline et la répétition devient une contrainte entièrement intériorisée, tel un programme lancinant mis en boucle, l’exercice jusqu’à l’épuisement qui ramène au monde parfois impitoyable du dressage des corps pour le ballet. Elle se lit jusque dans le fait de mimer les mêmes gestes et chorégraphie mies en boucle. Mais aussi dans la répétition de quelques positions génériques du ballet classique ou de la question sur une date « 1876 », celle de la création du Ring de Wagner, alors que Jan Fabre donnera sa version du wagnérien Tannhäuser en 2004. La bonne réponse permettra enfin à une interprète éperdue de regagner le socle scénique des fables, dont elle est éjectée par un officiant cruel et imperturbable.

suite page 4… 

Tagués avec : , , ,
Publié dans théâtre