Sous le sapin, la solidarité

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Ils ont une histoire et un devenir, certainement des choses à nous dire et pourtant… Dominique Baertschi-Rigatori a choisi de ne pas leur donner la parole, parce que ceux qu’elle a rencontrés dans cet abri PC ne sont là que pour repartir, sans grand espoir de recours.

Ils sont environ quatre-vingt, noirs, africains, très jeunes, tous en bonne santé et cela fait partie des critères. On les voit peu, on ne les entend pas, on ne les connaît pas, on les imagine… on peut même les confondre. Ils sont là pour quitter la Suisse, généralement contre leur gré, dans les trois à six mois et sans recours possible, ou si rarement. On se croirait dans l’entrée d’un garage, d’un parking tout en béton. La pente est un peu raide, un jeune homme me fait signe de descendre encore. Ça y est, j’aperçois la porte de l’abri de la protection civile (abri PC) d’Annevelle, au Petit-Lancy dans le canton de Genève. Deux gardiens sont à l’accueil, ils assurent la sécurité jour et nuit avec beaucoup de professionnalisme et d’adéquation. Présents 24h/24h, ils sont de vrais partenaires pour les deux intendants sociaux de l’Hospice Général en charge de l’abri.

L’abri PC d’Annevelle que j’ai visité, est celui de mon quartier. Les jeunes hommes qui y vivent sont donc un peu mes voisins, même si leur vie ne ressemble pas à la mienne. Ils vivent entassés dans des dortoirs à 16 lits, n’ont pas d’intimité, la porte est un simple rideau. Dans le hall je croise un regard, échange un bonjour, partage un sourire. Ils sont arrivés du centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, ils ont entre 18 et 25 ans. Juste tolérés le temps d’être expulsés, ils se montrent discrets, coopérants avec les responsables et s’accommodent tant bien que mal de cette vie sous terre, dans cet abri, avec juste l’essentiel. Ils n’ont pas le droit de travailler, s’ennuient toute la journée et ont du temps pour rêver ou voir mourir leurs rêves, pour craindre aussi un futur incertain.

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Michel Bueno et Frank Bourqui.

« Un jour, lorsqu’ils vivront ailleurs, j’espère qu’ils garderont quelques bons souvenirs de la Suisse, de leur passage dans cet abri par exemple… nous faisons notre possible pour que ce soit le cas ! » me disent Michel Bueno et Frank Bourqui, intendants sociaux de l’Hospice Général, responsables de l’abri PC.

Un travail difficile

« Presque chaque semaine, il y a des départs forcés. Dans l’abri, personne n’est averti à l’avance, mais chacun sait que cela peut arriver, à tout moment». Il s’agit de maintenir le calme dans cet endroit surpeuplé, de garantir la sécurité de chacun. Les intendants sociaux encouragent la solidarité et veillent à ne pas laisser s’envenimer les inévitables conflits liés à la promiscuité. Dans les chambres, les anciens s’installent dans les lits du dessous, ce qui leur permet de tendre un drap pour créer une alcôve de fortune. Les repas rythment les journées.

Une priorité des professionnels : garantir la paix avec le voisinage. L’hostilité étant souvent nourrie par la peur, la vie dans l’abri doit être exemplaire et la discrétion est bienvenue. Les jeunes réfugiés se montrent généralement coopératifs, respectent les règles et les consignes, ne posent pas de problèmes particuliers. De leur côté, les gens du quartier s’habituent, se rassurent. « Avec le voisinage, on n’a pas droit à l’erreur ! Mais les jeunes sont généralement respectueux, autant du matériel que des personnes »

En dehors de l’abri: l’Agora

Les visites ne sont pas admises dans l’abri, mais chacun est libre de ses mouvements et le tram 14 est à deux minutes. Leur vie sociale se construit donc à l’extérieur. Et c’est là que les professionnels et les bénévoles de l’Agora (*) entrent en action avec quelques propositions d’animation bienvenues pour tuer l’ennui et chasser les idées noires.
« Notre principal outil de travail est d’abord l’impuissance. L’accepter permet de donner du sens et même de la force à notre présence » confie Nicole Andreetta de l’Agora, lors de l’entrainement de football organisé chaque semaine au Bois des Frères pour les réfugiés du canton. Pour ceux qui vivent sous terre dans les abris PC, il s’agit d’un moment important, une occasion de se distraire, de pratiquer un sport, comme le font les jeunes du même âge.

Dominique Baertschi-Rigatori

(*) AGORA, l’Aumônerie Genevoise Œcuménique auprès des requérants d’asile et des réfugiés.

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