Les pidan ou oeufs de mille ans au tofu, une cuisine qui se médite

Les Pidans, oeufs de cent ou de mille ans, sont des oeufs de cane péparés selon une recette vieille de cinq cents ans, soit à  l’époque de la dynastie Ming. Les Chinois ont développé des méthodes de conservation qui provoquent un changement de nature tant du blanc d’oeuf que du jaune ce qui leur transmet un goût nouveau fort apprécié. Parmi les préparations d’oeufs qui nous viennent de Chine, les Tiedan, Ludan, et Chayedan sont des oeufs traditionnels de poule; Xiandan (oeuf salé), Zaodan (oeuf mariné dans des céréales fermentées) et Pidan (oeuf recouvert d’une préparation) sont des oeufs de cane.

Pidan au tofu

Ingrédients pour quatre personnes :
Tofu
quatre pidan (se trouvent sans problème dans les épiceries chinoises).
deux cuillères à café de soja de bonne qualité.
deux gousses d’ail écrasées; trois oignons fanes émincés, quelques goutes d’huile de sésame.

Réalisation
Briser délicatement la coquille de l’oeuf de mille ans et le couper en deux, voire quatre. L’opération est plus facile à  réaliser avec un fil qu’un couteau.
Débiter le tofu en petit cubes.
Mélanger la sauce soja, l’ail, les oignons et l’huile de sésame.
Disposer le tofu sur un plat, humecter avec la sauce et disposer à  coté des pidan.

Dans Éloge de l’Ombre, en 1933, Junichirô Tanizaki souligne l’importance de la couleur des plats et de l’intensité de la lumière :

“La cuisine japonaise, a-t-on pu dire, n’est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde ; dans un cas comme celui-là , je serais tenté de dire : qui se regarde et, mieux encore, qui se médite ! Tel est, en effet, le résultat de la silencieuse harmonie entre la lueur des chandelles clignotant dans l’ombre et le reflet des laques. Naguère, le Maître Sôseki célébrait, dans son Kusa-makura, les couleurs des yôkan et, dans un sens, ces couleurs ne portent-elles pas elles aussi à  la méditation ? Leur surface trouble, semi­translucide comme un jade, cette impression qu’ils donnent d’absorber jusque dans la masse la lumière du soleil, de renfermer une clarté indécise comme un songe, cet accord profond de teintes, cette complexité, vous ne les retrouverez dans aucun gâteau occidental. Les comparer à  une quelconque crème serait superficiel et naïf.

Déposez maintenant sur un plat à  gâteaux en laque cette harmonie colorée qu’est un yôkan, plongez-le dans une ombre telle que l’on ait peine à  en discerner la couleur, il n’en deviendra que plus propice à  la contemplation. Et quand enfin vous portez à  la bouche cette matière fraîche et lisse, vous sentez fondre sur la pointe de votre langue comme une parcelle de l’obscurité de la pièce, solidifiée en une masse sucrée, et ce yôkan somme toute assez insipide, vous lui trouvez une étrange profondeur qui en rehausse le goût.

La cuisine japonaise en tous cas, si elle est servie dans un endroit trop bien éclairé, dans de la vaisselle à  dominante blanche, en perd la moitié de son attrait. De leur côté, le miso blanc, le tôfu, le kamaboko, le gruau de patates, les poissons à  chair blanche, bref, tous les aliments blancs ne peuvent être mis en valeur si l’on éclaire l’environnement. Et le riz tout le premier, sa seule vue, lorsqu’il est présenté dans une boîte de laque noire et brillante déposée dans un coin obscur, satisfait notre sens esthétique, et du même coup stimule notre appétit”.
Éloge de l’Ombre, Tanizaki Junichiro, Publications Orientalistes de France, traduit du japonais par René Sieffert.”

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