Paroles d’indignés madrilènes. Vers un renouveau démocratique et participatif

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De la lutte des classes a l’occupation des places

Inspiré du newsreel produit notamment par des cinéastes new-yorkais, Robert Kramer, Chris Marker, et Jean-Luc Godard, des films de « contre-actualité » et de brefs poèmes ou essais cinéma dit « expérimentaux », comme Capitalism Slavery de K. Jacobs, Vers Madrid, The Burning Bright semble faire fi des lisières entre cinéma engagé, militant, du réel et expérimental. La référence au Newsreel n’est pas fortuite chez Sylvain George. Pour le Newsreel, le réalisateur Robert Kramer confiait en 1996 aux Inrocks : «C’était hautement collectif. Ça regroupait des organisations de femmes, des organisations centralisées contre la guerre, des hippies politisés jusqu’aux lecteurs de Lénine.» Il ajoute : «Les films étaient considérés comme des outils, on les montrait dans les communautés, les syndicats ou aux soldats. Le Newsreel était unique par rapport à l’expérience militante européenne. Les trois premières années, à New York, le groupe était composé de soixante personnes. Il n’y avait pas de direction officielle, pas de tradition communiste avec cette idée de “petits chefs”. Il y avait des réunions ouvertes une fois par semaine, qui duraient douze ou quatorze heures. On se faisait peu d’illusions sur l’idée que la classe ouvrière allait changer les choses car à ce moment-là elle soutenait le gouvernement et la guerre.»

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De Tony Gatliff à Sylvain George

Des essais cinéma expérimentaux poétiques, comme A propos de Nice de Jean Vigo au Newsreel, avec Chris Marker et Godard en tête de gondole, en passé par l’attention apportée aux traces et détails et le croisement entre le destin d’une personne migrante clandestine et le mouvement des Indignés, référence à la photo réaliste poétique des grandes heures de l’Agence Magnum (Kudelka, Cartier-Bresson) : Sylvain George revendique des sources et formes souvent identiques au cinéaste des marges et des communautés en mouvement, des Roms aux Indignés. En 2012, le cinéaste né d’une mère gitane et d’un père kabyle, réalise un poignant docu-fiction essentiellement en couleur : Indignados (2012). Dans ce film réalisé face à l’urgence, comme un coup de gueule, Gatlif, réalisateur manouche de l’errance, suit les destins croisés d’une jeune clandestine africaine qui ira s’empiéger sur les rivages européennes, de la Grèce à l’Espagne, pour juste pouvoir survivre et de la foule des Indignés scandant l’appel à la révolte et à l’éveil.

Les deux réalisateurs se rejoignent dans le fait de porter leur caméra dans le no man’s land du quartier d’El Quiñon, construit sur la localité de Seseña, à une trentaine de kilomètres de Madrid. Au-delà de terrains vagues, on découvre une nécropole immobilière fruit d’une fièvre spéculative qui continue à ravager l’Espagne. Au milieu du néant, un promoteur mégalomane a fait bâtir des barres d’immeubles dont la brique se confond avec la terre, au pied d’une colline sur laquelle se trouve la plus importante décharge de pneus du pays.

Là où Gatlif filme un décor exsangue devenu un piège se refermant sur une sans-papiers possiblement érythréenne, George ne piste que le contrepoint des manifestations madrilènes en y soulignant la crise du logement et les politiques ultralibérales. Et les expulsions de locataires réalisées par des banques remises à flot par l’Etat. Il rend bien ce sentiment de déshérence et de laissé-pour-compte d’une majorité de la population espagnole.

La pérennité du franquisme, elle, se lit dans les images du tombeau du Caudillo et les statues de Lorca ainsi que ces propos d’une Indignée au micro sur la place et qui rende encore plus urgente la nécessité d’une Commission Réconciliation et Vérité pour faire la lumière sur des pans entiers de l’histoire du pays dont la mémoire travaille encore aujourd’hui tant les consciences que les existences : «Nous devons discuter de l’existence de cet état patriarcal et féodal…. Dns un mouvement fondé sur la participation de tous, dans lequel les décisions sont prises de manière horizontale, nous ne pouvons pas accepter que nous soient imposés des privilèges de naissance !… le problème principal réside dans la monarchie… Nous avons un Etat clientéliste, basé sur le népotisme qui protège les privilèges de l’ancienne oligarchie… dans cet Etat, continuité avec la dictature… Nous sommes le deuxième pays après le Cambodge à voir des personnes assassinées enterrées dans des fosses communes et sans que les coupables n’aient payés pour les crimes commis. Nous allons aussi demandé des enquêtes sur la problématique des bébés volés entre les années 1940 et 1990.»

Bertrand Tappolet

Vers Madrid. The Burning Bright. Cinéma Spoutnik, 4 place des Volontaires, Genève. Jusqu’au 11 novembre.

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Publié dans cinéma, politique culturelle, société