Le monochrome, icône énigmatique de l’art moderne

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“Chromophobia”. Gagosian Gallery. Genève. Détail de l’exposition, de g. à d. Piero Manzoni, Piero Golia.

En un peu plus d’une vingtaine d’oeuvres, la Gagosian Gallery de Genève montre les différentes voies suivies par les artistes qui ont adopté le régime strict du monochrome qui s’est imposé dès les années 50 avec les expressionnistes abstraits tels Newman ou Rothko.

S’agit-il d’une phobie de la couleur, d’un rejet à divers titres ou d’une astreinte à la Perec, l’artiste-écrivain David Batchelor qui a inspiré le concept curatorial de l’exposition penche pour la première hypothèse. La thèse de Batchelor est que la peur de la couleur a conduit de nombreux artistes à se passer de la couleur en la considérant comme « appartenant à un corps étranger – oriental, féminin, infantile, vulgaire ou pathologique – ou bien en la reléguant au rang de superficiel, en excès, non essentiel ou cosmétique ».

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Sterling Ruby. « Stove 3 » , 2013. Stainless steel coated with high temperature paint. 139.1 x 35.6 x 83.8 cm. Courtesy Sterling Ruby Studio and Gagosian Gallery.

Le « Stove » (2013) noir de Sterling Ruby, pleinement fonctionnel, commémore le cœur de son enfance et sa maison dans la Pennsylvanie rurale.

 

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Dadamaino, « Volume », 1959. Waterpaint on canvas with holes. 90×70 cm. Courtesy Gagosian Gallery. Photography : Claire Kremer.

Certains artistes emploient le noir et le blanc pour représenter des vides illusoires et des espaces en négatif ou, à l’inverse, une réalité physique. Avec “Volume” (1959), une toile noire percée de trous par l’artiste milanais Dadamaino, le mur de la galerie s’inscrit comme un élément de composition.

 

ballula_650Davide Balula. Artificially Aged Painting (Wet, Dry, Wet, Dry, Wet Dry) , 2014. 177.8 x 5.1 cm). © Davide Balula. Courtesy galerie frank elbaz and Gagosian Gallery.
Davide Balula utilise des produits chimiques industriels, permettant à des résidus organiques fortuits de se déposer.

Les œuvres présenteées dans cette exposition ne sont pas passivement sans couleur; elles emploient plutôt délibérément les caractéristiques de nouveauté, d’absolu, de néant, et d’infini conférées par le noir et le blanc.

« La peinture monochrome est l’icône la plus énigmatique de l’art moderne, écrit Thomas McEvilley, l’historien disparue en 2013, le tableau ne fait pas impression sur le spectateur par un étalage de savoir-faire; il nie le dessin; il nie de sens de la composition; il nie les manipulations et relations de couleurs. On peut aussi bien regarder le mur sur lequel est accrochée la toile. C’est là, pourtant, dans ce rituel pictural, que s’inscrivent les significations les plus profondes de l’art moderne ocidental – ses aspirations spirituelles les plus élevées, son rêve d’un avenir utopique, sa démesure, sa folie. »

Ici, pas de contraste convulsif ni de bavardage, la composition est neutralisée, l’image peut-être vidée de sa signification conceptuelle pour privilégier le pouvoir expressif d’une présence physique qui prend ses aises dans la richesse et la sensualité du monochrome.

CHROMOPHOBIA
Gagosian Gallery
19 Place de Longemalle. Genève. Mardi, 27 janvier – Vendredi, 27 mars 2015.

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