Les musées suisses ont-ils peur des réseaux sociaux (I)

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Le MoCA de Los Angeles comme le Gugenheim de Bilbao sont présents sur tous les réseaux, est-ce une des clés de leur succès?

Le Web social, constitué des blogs, des forums et des réseaux généralistes comme Facebook, occupe aujourd’hui près du quart du temps passé en ligne par les internautes. Largement utilisé par les entreprises, ce nouveau mode de communication ne séduit pas encore les musées suisses.

 GenèveActive.ch. Jacques Magnol et Ekaterina Ermolina. 1er octobre 2010.

A la toute fin des années 90, seuls quelques musées étaient présents en ligne, la majorité hésitait encore à  se présenter sur un site Web tant la crainte était forte que la visite vitruelle ne se substitue au déplacement physique. Vingt ans plus tard, tous ont compris l’utilité d’une présence en ligne, la nouvelle question est celle de la nécessité non seulement d’être présent mais aussi actif sur les réseaux sociaux et notamment au moyen du réseau généraliste Facebook, en Suisse c’est majoritairement non !

Les réseaux sociaux signes de pauvreté culturelle ou super outils de «branding»?

Des médias annonçaient dès 2008 la fin imminente de l’engouement pour les réseaux généralistes. Mais voilà  qu’actuellement l’exploitation du réseau social, à  titre privé ou professionnel, est devenue une partie fondamentale de la vie en ligne, les utilisateurs qui sont déjà  500 millions sur le réseau généraliste le plus connu ont donc contredit les «visionnaires».

Selon le rapport Nielsen, réalisé aux Etats-Unis entre juin 2009 et juillet 2010, l’activité sur les réseaux sociaux et les blogs a cru de 43% et 40% du temps passé en ligne est consacré à  trois activités principales: réseaux (23% du temps), jeux (10%), courriel (8.3%). L’engouement pour les réseaux a affecté la fréquentation des portails qui a baissé de 19% mais peu le volume des courriels, bien que ceux-ci tendent à  devenir de plus en plus réservés à  la communication formelle. En Suisse près de 30% de la population a un compte Facebook et toutes les tranches d’âge utilisent l’Internet.
Une certaine catégorie de médias, de politiciens et de responsables d’institutions ne peuvent comprendre l’Internet que comme un média de masse, avec une interactivité accidentelle, ils s’accrochent à  une forme ancienne du pouvoir et sont effrayés à  la pensée que l’Internet soit devenu un lieu d’éducation publique, de culture participative, de bienfaisance sociale, de débat politique non formaté.
Tout le monde ou presque utilise massivement le courrier électronique, le Chat, les pages personnelles, les blogs en ligne et les applications diverses pour gérer tant la vie domestique que professionnelle. Les outils sont devenus mobiles et confortables, ainsi le format  des nouvelles tablettes permet de les emporter avec soi comme un journal ou un livre, et de surcroît leur connectivité permet de les mettre à  jour à  la demande. Bientôt le smartphone aura remplacé l’ordinateur pour accéder à  l’Internet. Deux exemples pour illustrer la pénétration des outils : le premier PC apparaît en 1981, en 2010 il y a près de cinq milliards de téléphones portables en service sur la planète.

Des observateurs croient discerner dans la présence en ligne une volonté de reconnaissance voire d’exhibitionnisme, ils reprennent les mêmes commentaires qu’il y a une quinzaine d’années à  propos des premiers créateurs de sites web personnels, d’autres comme Bruce Sterling, auteur américain de science-fiction, voient dans l’individu connecté une marque de pauvreté culturelle sinon d’exclusion sociale. Appliqué dans la sphère professionnelle, cet exhibitionnisme se dénomme «branding» et peut se révéler productif, en Suisse romande par exemple, nombre de jeunes universitaires ont acquis la visibilité et la notoriété gages d’insertion professionnelle réussie.

L’enjeu est de faire partie du spectacle

«Malgré les effets aliénants de la société du spectacle sur notre vie et sur nos liens sociaux, elle est l’une des conditions fondamentales de notre existence. Nous percevons le monde et communiquons entre nous par le spectacle» déclarait Hao Hanru, commissaire de la Biennale de Lyon 2009. Pour exister dans la société du spectacle, il faut donc faire partie du spectacle et le «social networking» en ligne est l’outil adapté, peu coûteux, à  la mise en scène du «branding» personnel ou d’entreprise.
Les entreprises culturelles tentent désormais de développer des rapports étroits de proximité avec le consommateur. Elles n’exploitent pas seulement l’infinité des données récoltées en suivant nos pérégrinations numériques qui nous valent, par exemple à  la connexion avec le site d’un éditeur: «Bonjour Antoinette, depuis votre dernière visite un nouveau livre est sorti sur le sujet des tortues d’eau et ceux qui l’ont acheté ont aussi choisi, etc.», elles utilisent aussi notre adhésion volontaire à  diverses applications pour faire naviguer l’information par nos réseaux de connaissances, soit un canal qui n’est que l’adaptation à  l’ère numérique de l’antique mais efficace bouche à  oreille.

L’ère du marketing agressif et personnalisé

La croissance de l’utilisation des réseaux en ligne n’a pas échappé aux entreprises qui ont développé le pendant professionnel de l’outil initialement conçu pour un réseau d’étudiants. Si le choix des outils Facebook, Twitter, MySpace, Del.icio.us, dépend des stratégies d’entreprises, tous les secteurs commerciaux en sont «fan»: de l’UBS à  la Banque Cantonale de Genève, de Monsanto au Centre Pompidou en passant par MacDonald ! La situation économique actuelle qui génère une concurrence acharnée contraint au développement de politiques de marketing de plus en plus agressives qui viennent en complément des opérations habituelles via divers modes de diffusion.

L’une des particularités de ces réseaux est de rendre visible son capital social ; le fait d’afficher un grand nombre d’adhérents joue-t-il un rôle dans la publicité de ces entreprises ? Le capital social, décrit par Bourdieu, est une ressource qui s’accumule et s’entretient.  Sur les réseaux, la constitution de ce réseau social peut être très rapide et il est possible de toucher des publics que l’on n’atteindrait pas autrement. Si l’étendue du réseau est grande, elle peut renvoyer à  l’étendue du réseau que la structure possède à  l’extérieur, et participer à  sa popularité.

Créer la proximité sinon l’interaction dans une culture de l’échange

Les musées pionniers de la présence en ligne furent les premiers à  exploiter les possibilités des réseaux sociaux dès 2006 (Facebook fut créé en 2004). Conscients de l’impact des propos de visiteurs appartenant à  la même communauté, d’amis ou de «fans» du lieu, des facilités nouvelles permettent à  l’internaute de publier ses impressions ainsi que des montages de ses prises de vue sur le lieu ou récoltées en ligne.
Le public à  qui «on a donné le pouvoir grâce à  ces nouvelles technologies et qui occupe désormais un espace à  l’intersection des anciens et des nouveaux médias» exige de participer (Jenkins). La culture participative revêt désormais un caractère central et bouleverse les rapports de pouvoir, c’est l’avènement d’une «read/write culture» en opposition à  une culture «read only».
Ce nouveau mode de consommation-intervention bouleverse déjà  les habitudes dans les musées habitués à  étendre sans cesse les interdictions de photographier, filmer, dessiner, etc. des oeuvres qui fondamentalement appartiennent à  la communauté. Le visiteur, physique ou virtuel propose désormais en ligne son propre commissariat faisant de la culture vivante une culture partagée, soit le Graal de toute institution culturelle: provoquer l’engagement du visiteur. «C’est le troisième âge de l’économie culturelle : succédant à  l’âge aristocratique avec ses amateurs, au régime industriel et ses consommateurs, voici le temps des cultures expressives et ses publics remixeurs». (L. Allard. Politique de l’image)
L’appropriation des contenus audiovisuels, que Henry Jenkins (v. son ouvrage Textual Poachers) repérait dès la fin des années 1980, sous le terme, emprunté à  Michel de Certeau, de « braconnage », est apparue dans sa forme actuelle de fanfiction chez les fans de la série Star Trek. Ces visiteurs/participants/remixeurs se font malgré tout encore désirer : seuls 5% des utilisateurs des réseaux sont des producteurs actifs et c’est le 1% de ces derniers qui produit les 2/3 du contenu. Les autres, un temps touristes-regardeurs, n’attendent que de se laisser entraîner.

Le musée comme organisation vivante, en phase avec les nouveaux modes de consommation et de nouveaux publics doit désormais soigner deux images, l’une physique et l’autre numérique. (suite)

Jacques Magnol et Ekaterina Ermolina

Wikipédia propose un résumé de la notion de “braconnage” de Michel de Certeau: “Michel de Certeau assimile les producteurs de sens à  des propriétaires terriens qui imposent le sens des biens culturels aux consommateurs, grâce à  la règlementation des usages et accès. Il compare alors les consommateurs à  des « braconniers » sur ces terres, au travers des mailles du réseau imposé, mais recomposant par leur marche propre leur quotidien. De même la lecture répond à  l’acte d’évidement, de mort de l’auteur, par une sélection active du fait du lecteur.
Les propriétaires élaborent des stratégies, des actions de contrôle de l’espace pour piéger les dominés qui, eux, mènent des actes de résistance (par exemple, zapper, débarrasser) consistant en des micro-libertés face au pouvoir, en une réappropriation de ce réseau imposé au consommateur, par l’intermédiaire de « ruses » ou « procédures ». Michel de Certeau élabore ainsi, en parallèle à  la théorisation du système panoptique de Michel Foucault, surveillance et contrôle « par le haut » de la société, une théorie des tactiques de résistance au champ de l’autre, subversion mais de l’intérieur et de la base même du système. Si ceux qui écrivent semblent imposer leur pouvoir à  ceux qui disent et font, de Certeau montre bien que les publics ne sont pas si dominés et restent actifs devant la réception des messages qu’on leur envoie”

Suite de l’article : Les musées suisses ont-ils peur des réseaux sociaux ? (II) : Les musées suisses et les NTIC

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