Les musées se réinventent à Genève

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Le MAH a multiplié les performances pour accueillir les participants de MuseumNext
2015 à Genève.

600 professionnels du marketing d’institutions muséales de 39 pays se sont réunis durant trois jours à Genève pour envisager le futur des musées. En Suisse, selon David Vuillaume, directeur de l’Association des musées suisses, ils se portent bien. Entretien.

Comment adapter l’institution pour qu’elle continue de tenir son rôle jusqu’ici essentiel et assurer sa survie ? Comment attirer les jeunes générations qui choisissent d’autres formes d’enrichissement personnel et de divertissement ? Comment attirer la population qui ne fréquente pas les musées ? Les réponses sont multiples, certains estiment primordial de déployer des efforts en faveur des jeunes, d’autres analysent la désaffection des jeunes comme un phénomène passager.

Sami Kanaan redéfinit la politique muséale

David Vuillaume salue ici la politique muséale définie par Sami Kanaan. Depuis son arrivée, en 2012, à la tête du Département de la culture et du sport, le magistrat multiplie les initiatives – Etats généraux des musées, colloques, conférences, études du public, Nuit des musées, Journées des métiers d’art, etc. – en faveur d’une meilleure connaissance des institutions elles-mêmes mais aussi du public qui les fréquente. Son action s’étend à la promotion de “Genève ville culturelle” en soutenant des guides touristiques et des événements comme MuseumNext.
En février 2013, dans le message de son département, Sami Kanaan soulignait leur rôle essentiel au service de la population: “Nos musées ont aussi pour mission de développer le rayonnement de Genève, de faire venir de nouveaux touristes, mais leur mission première, est et restera celle d’être au service de la population locale, de refléter et alimenter sa culture, de valoriser et transmettre son patrimoine et de servir ses ambitions.”

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Danse contemporaine dans les salles d’archéologie avec une chorégraphie de Catherine Egger lors de la soirée d’inauguration de MuseumNext.

 

Entretien avec David Vuillaume, Directeur de l’Association des musées suisses et membre du bureau exécutif de The Network of European Museum Organisations (NEMO), lors de MuseumNext à Genève.

JM. : Lors de l’édition de MuseumNext à Genève, nombre d’interventions se concentrent sur le rôle du musée et les possibilités d’augmenter fortement sa fréquentation, le musée est-il en crise, s’agit-il d’une redéfinition de son rôle ou de sa méthode?

DV. : Parlons plutôt de la méthode, ce qui est important à Genève, c’est d’utiliser le potentiel des musées, et je crois que c’est ce que Sami Kanaan a compris. S’il a mis en place toute une méthode et un processus de définition du rôle des musées, c’est d’abord pour utiliser ce potentiel qui n’était pas encore assez utilisé. Genève est la ville en Suisse qui dépense le plus par habitant pour la culture, les Genevois en profitent donc, mais pas forcément les autres. Il faut donc le faire savoir, il faut développer les choses, en fait, tout est là à Genève et je pense que c’est bien d’avoir défini une politique muséale sans être forcément en crise, on n’attend pas qu’il y ait une crise pour se demander à quoi servent les musées. A un moment donné, les musées ont commencé à se poser des questions, ils n’ont pas attendu M. Kanaan pour se les poser, mais lui a réussi à en faire quelque chose de très pratique et les premiers effets seront visibles d’ici quelques années, on se réjouit bien sûr de voir ces effets.
(Note: Convoqués en septembre 2012 par Sami Kanaan, les Etats généraux des musées genevois ont débouché en 2014 sur la définition d’une politique culturelle favorisant le rayonnement des institutions muséales.)

JM. : La fréquentation par un public jeune est-elle une priorité ?

DV. : Nous sommes quand même étonnés de voir qu’une grande partie des visiteurs des musées sont des jeunes, grâce à l’accueil des écoles évidemment, ensuite il y a une phase dans la vie, quand on est adolescent, où on ne va pas au musée mais c’est normal, il faut l’accepter, on ne va pas au théâtre, à l’opéra quand on a 17 ans, quelques uns le font, mais ensuite ces gens retournent au musée quand celui-ci a quelque chose à leur montrer. Donc, on est en droit de dire que les musées suisses ne sont pas en crise, au contraire, on a besoin des musées en Suisse, c’est pour cela que toujours certains se remettent en cause ou sont créés. Un jour peut-être, certains musées vont fermer ou disparaître car on n’aura plus besoin de ceux-là, l’essentiel restera que les collections puissent être conservées car l’objectif des collections est de passer de génération en génération. C’est donc un secteur très dynamique, et en général ce sont les gens qui ne vont pas au musée qui prétendent que les musées sont ennuyeux.

 

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L’agrandissement concocté par Jean Nouvel étant en stand-by, c’est une vidéo “teaser” du projet qui est présentée aux participants de MuseumNext.

 

JM. : Développer le musée centré-visiteur comme on l’entend régulièrement, est-ce vraiment nouveau, le visiteur n’a-t-il pas été toujours au centre des attentions ?

DV. : Pas forcément, la mission des musées au début était vraiment de conserver, il s’agissait d’archives qui ont été progressivement ouvertes au public, et ce public était déjà un connaisseur de ces archives, donc nous n’étions pas obligés d’être véritablement orienté sur le visiteur. Aujourd’hui, la manière de voir a complètement changé, les musées sont maintenant presque “trop” orientés sur les visiteurs, je dis trop entre guillemets car on en arrive à voir la question de la médiation, la question de communiquer devenir tellement centrale les oeuvres à acquérir sont choisies en fonction de leur potentiel de présentation et de communication alors que ces objets pourraient être intéressants plus tard, mais aujourd’hui tout est centré sur les visiteurs, c’est une bonne chose mais il faut trouver un équilibre, il ne faut pas que cela se passe au détriment des collections.
À l’heure actuelle, beaucoup de musées en Suisse cherchent des moyens à l’interne et à l’externe pour pouvoir inventorier leurs collections, alors que ce devrait être la base, connaître sa collection pour la mettre dans un inventaire avant de dépenser tout son budget pour la communication à l’extérieur. Il faut trouver un juste équilibre entre les deux, et aujourd’hui force est de constater que l’équilibre n’est pas tout à fait juste, la tendance est plutôt orientée vers le visiteur.

JM. : Plusieurs intervenants proposent de développer les possibilités de vivre une expérience nouvelle au musée, plus distrayante et ludique.

DV. : Il faut là aussi trouver un équilibre, l’expérience muséale est quelque chose qui n’est pas du tout nouveau, les musées par définition se visent avec le corps, avec les émotions, les yeux, le corps bouge ; aujourd’hui les nouvelles technologies permettent d’utiliser encore plus ses sens et dans ce cas là pourquoi ne pas les utiliser si elles apportent vraiment un sens supplémentaire à la visite, mais la question de l’expérience museale c’est vraiment la définition du musée, on fait une expérience corporelle au musée, toujours.

C’est aussi une expérience émotionnelle avec la participation de conteurs, avec ceux qui nous accompagnent; encore une fois ceux qui veulent nous « vendre » de nouvelles expériences avec les nouvelles technologies sont ceux qui connaissent assez peu les musées.

JM. : Mais ces technologies ne sont que des outils

DV. : Oui, ce sont des outils, et certains sont absolument parfaits et utiles dans les musées, et d’autres sont de nouvelles technologies dont nous n’avons pas pour l’instant l’utilité dans les musées, alors on ne les utilise pas.

JM. : Accorde-t-on désormais trop d’importance à la médiation/communication au détriment du travail scientifique ?

DV. : C’est un fait que le musée est une figure d’équilibre, cette tension a toujours été là, il faut juste considérer ces deux pôles et trouver un bon équilibre entre les deux. Un objet qui n’a fait état de recherches ne peut pas être communiqué à l’extérieur, en tout état de cause nous avons besoin des chercheurs.

JM. : Lors d’un congrès de sociologie à Genève en 2009 les chercheurs ont fait état d’un échec de la démocratisation culturelle, les actions ont entraîné une plus grande consommation de la part du public acquis mais peu de variation avec l’autre public. Que vous inspire cette remarque ?

DV. : C’est un fait, mais il est beaucoup moins développé en Suisse que dans d’autres pays, car les musées en Suisse ont été conçus par la base, nous avons énormément de musées, 1146 musées, des musées vraiment de communautés, de villages, etc., qui sont donc soutenus par leurs visiteurs et la diversité des visiteurs est beaucoup plus large en Suisse que dans d’autres pays. La situation est favorable.

Propos recueillis le 13 avril 2015.

 

En Suisse, le paysage muséologique est très diversifié

Besucherzahlen 2008 der Museen der Schweiz

En Suisse où le paysage muséologique suisse est très diversifié, le nombre de visites est resté stable ces cinq dernières années(selon l’Association des musées suisses). Ce sont les musées de sciences naturelles qui reçoivent le plus grand nombre de visiteurs avec 41%, suivis par les musées d’art avec 23%. Les musées et collections archéologiques, les musées historiques et thématiques ainsi que les musées de beaux-arts affichent en 2013 une hausse de leur fréquentation.
Si l’on considère la répartition du nombre d’entrées dans les musées, à l’exclusion des jardins botaniques et zoologiques : les musées d’art enregistrent 33% des visites, suivis par les musées historiques et thématiques (respectivement 14%), et par les musées techniques et de sciences naturelles (respectivement 13%).

Dans son ouvrage La fin des musées (Ed. du Regard), Catherine Grenier rappelle l’importance primordiale de ces lieux ce culture : « La crise que traversent actuellement nos sociétés se caractérise principalement par la difficulté de se projeter dans un avenir, alors que la distance avec le monde traditionnel du passé se creuse toujours davantage. Le musée s’offre précisément comme l’espace d’une temporalité réconciliée : lieu de constitution de la mémoire du passé, témoin du présent, producteur du patrimoine de demain. Même au pire de la crise, on aurait du mal à imaginer des voix qui mettent en cause radicalement l’existence des musées. (…) Dans une société angoissée par la virtualisation croissante de la relation au monde et des rapports humains, l’art et le musée occupent une position référentielle, celle d’un lieu à la fois d’expérience et de conservatoire du trésor collectif, voire d’espace sacré. »

Commentaire : L’appréciation par David Vuillaume du travail de la redéfinition par Sami Kanaan de la politique muséale genevoise signale que l’évolution intéresse hors des limites du canton, enfin. Le magistrat part de loin, son prédécesseur n’a jamais semblé concerné par une telle définition, au contraire, le Musée d’art et d’histoire a vécu sous son règne l’expérience du bâton dans la fourmilière (selon l’expression de conservateurs) qui a entraîné nombre de démissions, le même musée a été soumis à une convention largement défavorable à l’institution et à la Ville, concessions au collectionneur de la rue Calvin, etc. A la fin de son mandat, c’est sans mise au concours que le précédent magistrat a nommé ses proches collaboratrices sans expérience à la direction de deux musées municipaux genevois, l’affaire avait fait hurler dans les musées et le feu n’est pas éteint. Aujourd’hui, c’est le processus de sélection de la nouvelle direction du Mamco qui inquiète, et s’il est exact qu’un membre influent du comité exige la nomination d’un candidat issu de la sphère francophone, le gagnant est d’avance discrédité. La Ville ne détient qu’un tiers du pouvoir, tout comme l’Etat, un pouvoir qu’il serait coupable de ne pas utiliser en laissant le champ libre aux collectionneurs-marchands.
L’heure est à l’excellence comme le rappelle le président du Réseau des musées de l’Europe, Laurent Gervereau, “Il faut affirmer ou réaffirmer la prééminence de la politique culturelle sur la gestion et la conservation. C’est ainsi que pourront être nommés des professionnels reconnus, ayant fait leurs preuves, issus aussi bien du monde de la conservation que de celui de la recherche ou de la muséographie en général. Car l’ascenseur est en panne. Si tous les postes de directions importantes sont confiés à des gestionnaires ou des amis politiques, aucun professionnel brillant n’a d’avenir dans ce pays.”

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Publié dans musées-centres, politique culturelle