Le Street Art genevois entre chats sauvages et matou domestiqué

Thoma Vuille, alias M. Chat, intervention sur les murs du Bâtiment d’art contemporain, Genève, 14 juin 2017.

Depuis le 14 juin, les murs du Bâtiment d’art contemporain de Genève présentent des dessins de chats dus à l’artiste Thoma Vuille, alias M. Chat, un peintre d’art urbain franco-suisse né dans le canton de Neuchâtel. L’initiative, fruit d’une collaboration entre le Département de la culture et du sport de la Ville de Genève et une galerie des Rues Basses, est peu appréciée des professionnels du quartier des Bains.

Genève fourmille d’interventions artistiques chargées d’humour et de poésie offertes aux regards dont l’horizon n’est pas limité par un écran de téléphone. Clin d’œil en lien avec l’environnement, habile revendication politique, détournement de publicité ou message humoristique, ces interventions de Street Art ont la particularité d’être gratuites, éphémères, et le plus souvent anonymes pour cause de pratique interdite hors des lieux dédiés. La pratique rebelle du Street Art est proche de celle du Graffiti, les deux datant des années 70, sont l’expression d’une riche culture populaire. Interdites et vivement combattues par les autorités, ces pratiques s’institutionnalisent progressivement et deviennent même des produits au service de la promotion des villes touristiques. Plus pragmatiques, nombre de “rebelles” d’hier travaillent aujourd’hui pour les plus grandes marques du luxe comme Hermès, Richard Mille, Vuitton et autres.

Thoma Vuille – aka M. Chat et Sami Kanaan, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et du sport de la Ville de Genève.

M. Chat, un “rebelle” en quête de la reconnaissance des institutions

En théorie, le Street Art est détaché de toute intention mercantile, il apparaît dans les interstices du paysage urbain et témoigne d’une envie de communiquer autrement que par le biais d’expositions dans les institutions. M. Chat est le créateur de la série graphique des M. Chat, personnage félin souriant créé dans les rues d’Orléans dans une démarche alliant optimisme, transgression et culture de proximité. Sa page Wikipedia indique qu’en « s’émancipant de la peinture de rue, son art a pris une autre dimension. Ses performances, en s’éloignant de l’univers individualiste du graffiti, visent à contourner les réticences habituelles et à partager l’art au sein d’une culture de proximité.”

L’intervention en bas à droite qui relève du graffiti est “sauvage”, celle de Thoma Vuille, plus Street Art, est soutenue par la Ville. Sachant que la brigade anti-graffitis entre en action sur demande du propriétaire du bâtiment, quels critères artistiques ou autres sont pris en compte pour décider d’en effacer un et conserver l’autre quand la Ville est propriétaire ?

À la question « Quelles sont vos obsessions et comment nourrissent-elles votre travail ? », M. Chat répond : « Le rapport à l’autorité et la transgression qui en découle. »
Mais pourquoi ce rebelle également rétif aux obligations mercantiles vient-il s’imposer sur un bâtiment qui abrite tant d’institutions d’art contemporain ? M. Chat soutient que maintenant « son art a atteint sa maturité et qu’après dix ans au Revenu minimum d’insertion (RMI en France), (il) aspire à vivre de son travail ». S’afficher domestiqué par le marché pour une opération de promotion sur les murs du Mamco devient, selon lui, la preuve d’un début de reconnaissance de la part du musée avant une exposition proprement dite. C’est bien cette possibilité de revendication postérieure de reconnaissance que M. Bernard, ancien directeur du Mamco, a, durant vingt ans, énergiquement refusée aux artistes que des sponsors désiraient exposer lors de leurs opérations promotionnelles dans l’espace commun du bâtiment.
A Genève, le rapport de M. Chat à l’autorité s’installe dans une collaboration commerciale avec le Département de la culture et du sport de la Ville et une galerie à l’occasion d’un vernissage. La transgression revendiquée est donc plus le fait du magistrat qui l’impose sans égard pour la valeur symbolique du Bâtiment d’art contemporain dont les murs abritent le Mamco et le Centre d’art contemporain, apparemment sans concertation avec ces institutions. Les réactions recueillies dans le quartier des Bains sont particulièrement hostiles face à une intervention « pas virtuose du tout mais bien dans l’air du temps », ou, pour l’avis le plus modéré, « tout simplement consternante ». En bref, après M. Chat, le quartier attend avec impatience le passage de M. Propre.

Ambitieuse, l’opération “chat” s’accompagne d’une invitation à la chasse aux quelques dizaines de chats en carton du même auteur. Ceux-ci sont dispersés dans la ville et offerts à leurs découvreurs potentiels. Profitons de la suggestion pour partir à la recherche d’autres interventions sauvages sur les murs de la ville et sur le même thème :

Anonyme. Avenue de Miremont, Genève.

 

Anonyme. Rue des Bains, Genève. Ralph Chaplin (1887-1961) est considéré comme le dessinateur du chat noir, important symbole anarcho-syndicaliste très utilisé aujourd’hui, notamment par la de la Confédération nationale du travail (CNT) en France. La posture offensive du chat évoque la grève sauvage, le sabotage et par extension le syndicalisme de lutte.

 

Anonyme. Rue des Vieux-Grenadiers, Genève.

 

L’art urbain des “vandales” d’hier est devenu un atout touristique

Rafael Gerlach, alias SATONE. Intervention à Sète dans le cadre du festival K-live.

Souvent qualifié de vandalisme, l’art urbain a désormais atteint une réelle reconnaissance à divers titres, artistique, effet de mode, décoratif, il attire les foules lors d’expositions dans les grands musées et est célébré lors de festivals courus en Europe et au-delà (voir des exemples en fin d’article). Citons à titre d’exemple l’exposition Art In The Streets au MOCA de Los Angeles, en 2011, et son succès de fréquentation avec plus de 200’000 visiteurs.
Le plus souvent, les villes s’efforcent d’effacer à grands frais (Genève) les oeuvres sauvages dès qu’elles apparaissent. D’autres mettent en valeur les interventions les plus artistiques, telle La ville de Sète (43’400 habitants dans le Sud de la France) qui, il y a dix ans, a offert ses murs aux artistes invités dans le cadre du festival K-live.
Aujourd’hui, Sète peut s’enorgueillir de posséder un véritable musée à ciel ouvert. Des visites guidées dont le succès s’accroît d’année en année ont été mises en place par l’office de tourisme. Chaque année, le festival invite une trentaine d’artistes de l’art urbain à s’exprimer sur les murs de la ville. Certaines œuvres n’ont vécu que quelques jours, d’autres quelques mois, et certaines ont subsisté pour constituer le Maco de Sète. Ce Musée à ciel ouvert, aujourd’hui composé de 25 peintures murales, fait partie intégrante du paysage urbain et culturel sétois. Par ailleurs, la ville rayonne avec plusieurs institutions : Centre Régional d’art contemporain (cRac), Musée international des arts Modestes (MiaM), Musée Paul Valéry, Espace Georges Brassens, un théâtre (scène nationale), des festivals et de nombreuses galeries et ateliers d’artistes.

Malta Street Art Festival, 24 – 26 juillet 2017.

En Europe et au-delà, les festivals d’art urbain se multiplient comme à Vevey avec le Festival des artistes de rue (18 – 20 août 2017), Grenoble (7 – 25 juin), Ibiza (Espagne, 23 août au 9 septembre), Montreal (Canada, 8 – 18 juin), Stavanger (Norvège, 31 août – 3 septembre), Fanzara (Espagne, 6 – 9 juillet), Salonique (Grèce, 9 -11 juin), Malta (24 – 26 juillet), Copenhague (Danemark, 24 – 26 juillet), Bol (Croatie, 27 – 29 juillet), Chemnitz (Allemagne, 28 – 30 août), sans parler d’un lot de foires et de salons.

Voir également sur GenèveActive :

Les bouleversements socio-politiques ont amené beaucoup d’artistes à investir d’autres territoires.
A qui appartiennent les œuvres du street art
Le graff, une forme d’expression en évolution
King Robbo ne portera plus l’art où il n’est pas supposé se trouver.
En Egypte, le pouvoir redoute la puissance de l’art de la rue.

Egalement :
– Une histoire du Street Art sur le site de la Galerie Speestra, Bursins
Le Street Art au tournant, Christophe GENIN, professeur de philosophie de l’art et de la culture à l’université Paris 1.

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