Le skate malgré tout

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Le skate au féminin

Ce documentaire gonzo et pseudo film de potes avec corps énervés, fraternels, échauffés et se désirant peut-être secrètement, convoque parfois une vision caricaturale de l’intime de la marge exploré par Nan Goldin dans des plans de caméra tenue à bout de bras au lit. Il semble aussi épouser le côté « quatorzième degré » du personnage qui se met en scène que recycle à tout va le cinéma américain mainstream (L’Interview qui tue, Very Bad Trip, Project X, Jack Ass).

Mais il ne doit pas nous faire oublier qu’aux Etats-Unis et dans la filmographie mondialisée, le skateboard est souvent cantonné à des représentations archétypales et mythique d’une jeunesse étendue connaissant aussi le désir de s’inscrire dans l’espace social et médiatique, les accidents et les pertes .De remplissage publicitaire en fond d’écran pour clips musicaux (Disco//Very et Keep it Healthy du girlsband Warpaint) et vecteur de culture jeune pour films d’auteur communautaires (Larry Clark, Gus Van Sant) à une légitime volonté de reconnaissance, de visibilité et d’émancipation pour des jeunes femmes le pratiquant dans une vision positiviste de la scène féminine de cette discipline.

Un geste documentaire qu’accompagne parfois une critique du milieu du skate, de son environnement économique et social dominé de manière outrageuse par des sponsors essentiellement conservateurs, qui se servent des compétitions comme autant de bandes annonces de leurs marques cantonnant les corps notamment féminins dans des archétypes volontiers publicitaires axés sur la performance, le dépassement de soi et la beauté plastique des évolutions.

On songe ainsi aux documentaires américains: Scratch The Surface (2012) signé Jeena Selby, As if, and what ?, et l’intéressant Underexposed : A Women’s Skateboarding Documentary (2013) de la skateuse professionnelle Amelia Brodka qui a choisi ce sport pour la vie. Si elle l’enseigne, elle est aussi fortement engagée dans la construction de skateparks facilitant l’apprentissage et la pratique tout en s’inscrivant durablement dans le temps et l’attractivité d’une Cité. Pour elle, en étant skateboardeuse, « vous faites automatiquement partie d’une communauté mondiale de personnes qui s’apprécient mutuellement et accueillent dans leur maison afin que vous pouvez découvrir leurs spots de skate locaux et des scènes ».

Cette adolescente extraordinaire de volonté a une présence qui n’est pas sans évoquer celle de l’actrice canadienne Ellen Page. A 27 ans, Page a déjà une longue carrière cinématographique à son actif, dont le remarquable Bliss (2010). Ce premier film de la star américaine Drew Barrymore se distingue entre autres par un tourbillon de courses et affrontements patinés en rollers. Or la Canadienne est très engagée dans la défense des droits des LGBT et son « coming out lesbien » de février 2014 a eu, semble-t-il, un retentissement dans le milieu de la glisse féminine américaine. Les amours entre jeunes filles tendent peut-être à ne plus y devenir un sujet très peu abordé, voire tabou, comme l’homosexualité dans l’univers masculin du skate.

A des degrés divers, les témoignages autour du skateboard féminin mettent en lumière les différences de traitement médiatiques et de sponsorship, les inégalités encore majoritairement trop flagrantes, scandaleuses entre pratiquantes et pratiquants. Or cette reconnaissance est fondamentale pour que des jeunes filles, des femmes puissent pratiquer le skate aussi jusqu’à n’importe quel âge au quotidien en obtenant et confortant l’espace nécessaire à leurs évolutions au sein du tissu urbain des villes d’ici et d’ailleurs.

La planche à roulettes serait-elle de ces mythographies aussi prégnantes que le rock ou le western ? Entre discrétion mainstream et poses underground, le skate s’inscrit aussi bien en simple arrière-fond ludique et possible placement de produits (Spielberg et Zemeckis période 80) que comme symbole urbain attaché à un streetwear et une possible « contre-culture ». Signé Catherine Hardwicke, l’opus Les Seigneurs de Dogtown est à la croisée des influences, à la fois film mélancolique sur l’art de vivre et de se meurtrir de pionniers du skateboard, biopic hollywoodien rapatriant une certaine esthétique documentaire des années 70 et défense naïve de la contre-culture, l’innocence contre la marchandisation déjà en marche pour certains de ses pratiquants ici encore uniformément masculins. Ce qui ne correspond guère à une réalité historique postérieure, qui vit très tôt des jeunes filles apparaître sur la scène skate évoluant notamment en piscines sans eau alors que les skateparks n’existaient pas. Que l’on songe notamment à Elissa Steamer, 39 ans aujourd’hui, connue pour avoir été la première femme à avoir atteint le statut de professionnelle dans l’histoire du skateboard et icône des X Games, Women’s Street de Los Angeles au fil de la première décennie de ce siècle.

Bertrand Tappolet

Danger Dave. Cinéma Spoutnik, Jusqu’au 13 janvier 2015. Rens. : www.spoutnik.info

 

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