Le fabuleux destin de Céline : du chant des rues à la défense des droits de l’enfant

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Céline, chanteuse, guitariste, juke box humain et étudiante en droit à Avignon. Photo ldd

Pourquoi ne pas découvrir à la Rue des Marchands, Céline, pianiste devenue guitariste autodidacte à la voix naturellement douée ? Du haut de ses dix-huit printemps, elle a tout de la Mama blues et soul proche, dans son meilleur, de l’inventivité vocale d’une Maurane si admirée. Ce jusque dans le champ de profondeur émotionnel qu’elle parvient à lever par sa tessiture à la fois charnue et éthérée. Mais ce qui n’est que parenthèse estivale festivalière ne rejoindra pas la fable de La Cigale et la fourmi. C’est dit, chez cette étudiante en droit, son vêtement et sa ligne mélodique à la vie professionnelle, se cofonderont avec la robe d’avocate spécialisée dans le droit des enfants.

En l’écoutant au croisement de rues piétonnes, pourquoi ne pas se remémorer pour la musique cette définition donnée du théâtre par Olivier Py présidant désormais aux destinées du Festival d’Avignon ? « Le théâtre c’est une beauté qui ne peut vivre enfermée dans un cadre, dans une chambre, dans un quatrain ou dans un vase. Il faut bondir hors du cadre, abandonner sa chambre, élargir son verbe, déborder toutes les formes, par soif inextinguible de la totalité. » Avec le naturel des saisons qui reviennent, chaque matin, elle glisse peut-être le souvenir de l’enfant derrière ses gestes présents et entre ses rêves. La réalité qui l’attend, elle sait encore la replier comme un mouchoir. Ou la déployer dans une curiosité en éveil qui n’évite pas parfois un penchant bien post-adolescent à un certain égocentrisme.

Chanteuse en série

Micro en pied, cette apparition digne d’une belle noiseuse qu’aurait pu imaginer Rubens, Renoir ou Manet chante en « juke box » humain, une appellation surannée à l’ère des play list sur ipod ou smartphone. Mais elle y tient, comme au nombre précis de chansons alignées à son répertoire chantourné et proposé au passant contre l’écot qu’il voudra bien verser : cent. « J’ai mis dans ma liste le nom de chansons que j’aime beaucoup et qui peuvent plaire à tout le monde. Etrangement, pas de Gainsbourg, mais Brel, Brassens, Nougaro, Bécaud, Jason Mraz, Bruno Mars, Rihanna… ». Elle avoue volontiers les avoir apprises par cœur par métonymie et non en déchiffrant la partition, laissant le soin à ses doigts de la guider presque par devers elle en suivant refrain et mélodie. Réalité interprétative de la plus belle eau ou légende citadine chez une jeune femme qui avoue dévorer la saga Harry Potter dès sa livraison en anglais et lâche sa voix dans les pleins et déliés des langues de Rostand, Cervantès et Shakespeare ? Qui s’en soucie ? Car la voici, guitare en mains et voix aux traversées audacieuses d’octaves multiples, aux lignes mélodiques qui parfois dévissent un brin, chez un être ne visant pas la virtuosité mais l’authenticité de compositions qu’elle passe à sa manière. A l’en croire, ses oreilles ne semblent n’avoir point de paupières, forant continument les sons et partitions pour s’en imprégner et se les estamper afin non de reproduire les titres interprétés, mais de les habiter, de les incarner comme doucher de près grâce à une voix disant l’espérance insensée, fuselée de tous les matins du monde parfois voilée d’une inquiétude d’heure bleue si ce n’est blues.

On la retrouve en entretien, posée sur une terrasse à la Place des Corps Saints, où elle parle volontiers sirotant son pacalo, entre de multiples sms des proches et parents voulant suivre en direct la rencontre avec cet étrange étranger s’intéressant à une artiste et avocate en devenir anonyme sans notoriété et ne la cherchant pas, bien qu’elle se refuse à voir son nom familial reproduit en ces lignes. « Toute le monde me connait ici », lâche-t-elle. A cette évocation, on songe à cette réplique de La Source vive roman fleuve que l’on doit à Ayn Rand merveilleusement adapté et porté à la scène dans le cadre de cette 68e édition du Festival d’Avignon, disant en substance que « le monde » se réduit souvent, une vie durant, aux personnes directement côtoyées.

Libération des possibles par la musique

Le visage de Céline s’animera notamment de coups d’œil inquiets glissés en meurtrière en direction de son vélo supportant son petit orchestre à elle (pied, ampli-haut-parleur, micro et guitare). On y échange sur les artistes (Brassens, Gainsbourg, Tchaïkovski, Mozart) ayant composé, jusqu’à leur mort, ballades, berceuses, symphonies, concertos, opéras, sonates ou partitions réalistes et pour qui faire de la musique avait encore une valeur positive, nécessaire et libératrice. « Au piano, j’ai joué il y a un mois une fantaisie de Mozart, se souvient-elle. Si le compositeur avait une signature à nul autre pareil, sur cette fantaisie, l’impression perturbante domine que l’artiste est schizophrène, passant d’une mélodie à une autre, d’un rythme à un autre complètement différent. Parmi les pianistes, Chopin et ses valses magnifiques comptent beaucoup. Etant très romantique, jouer Chopin me met dans le même état d’esprit que pour l’interprétation du Clair de lune dû à Beethoven, une atmosphère calme, douce, mélancolique. »

En croisant la musique dont elle a fait sa matière de bac au droit qu’elle étudie, Céline a sans doute retrouvé inconsciemment les intuitions de Rousseau. Car pour Rousseau, cet autre promeneur solitaire, la musique, entendue comme mélodie, ne participe ni de la science ni de la simple nature. Mais bien de l’humain, seul animal capable de se perfectionner, c’est à dire d’acquérir « en bien ou en mal » l’ensemble des qualités, vices et vertus, qui lui permettent de devenir « tout ce qu’il peut être » et non ce qu’il doit être. Car la perfectibilité, sur le modèle de l’imagination mélodique en musique, permet à l’homme de devenir vraiment humain et libre, comme le philosophe des Lumières l’explique dans un chapitre du Contrat social, et de délaisser les rivages primitifs d’une animalité bornée, stupide et soumise à l’instinct. « J’ai toujours fait à l’oreille et en regardant certains trucs et astuces donnés sur le net. Déchiffrer des partitions, très peu pour moi. Les musiques de mon répertoire sont le fruit d’interprétations personnelles », relève une Céline un brin timide et sans complexes.

Dans le ventre maternel

Au commencement, bien avant tout geste, toute initiative et toute volonté délibérée de voyager, la musique travaille dans l’évidence du liquide amniotique. Le désir de voyage par les musiques prend confusément sa source dans cette eau lustrale. On ne devient musicienne impénitente qu’instruite dans sa chair aux heures du ventre maternel arrondi tel un globe, une mappemonde. Le reste développe-t-il un parchemin déjà écrit ? « Quand j’étais dans le ventre de ma mère, elle m’a fait écouter du Mozart et du Tchaikovsky. Puis après ma naissance, encore et encore. »

Côté examen pratique d’une épreuve musicale pour le bac, Céline choisit de passer au piano Feeling Good de Nina Simone. « Ce titre me touche au plus haut point, car Nina Simone l’a interprété en arrivant sur sol français, telle une ode au bonheur, au renouveau, quittant sexisme et racisme dont elle fut victime en Amérique. Envoutante, sa voix s’enroule étrangement autour d’un blues à la fois langoureux et vif. Outre Nina Simone, on compte parmi mes inspirations Ella Fitzgerald, dont la voix est d’une magnifique clarté si apte à passer une large palette de sentiments. Si Gainsbourg n’était pas un grand chanteur, il demeure un extraordinaire poète et génie musical, toujours dans la provocation et l’excellence de ses jeux de mots. A ce jour, la seule interprète féminine française que je trouve troublante, c’est Maurane qui possède une voix à couper le souffle. Une autre inspiration ? Tryo, groupe français sous passion reggae pour des chansons engagées aux mélodies entraînantes. Prenez, Toi et moi, un titre auquel chacun peut s’identifier et témoignant du peu de place de l’individu qui se trouve insignifiant. » La difficulté de s’inscrire au monde et dans l’intime se déploie ainsi sur le superbe clip Toi et moi cadrant en un plan-séquence travelling, un homme marchant pieds nus au cœur d’une maquette reproduisant les paysages traversés ou empaumant les reliefs de terrain (sable, herbe et amas de journaux quotidiens). Tout en rejoignant ponctuellement les gambettes et pieds féminins aimés. Une manière de s’inscrire doucement dans les nouvelles du monde que l’on surplombe et parcourt doucement avant de se retrouver et de s’enlacer au détour de ces petits bonheurs quotidiens qui non rien de tyranniques ni d’autarciques. « Ce matin, 3000 licenciés, grève des sapeurs pompiers, / Embouteillage et pollution pour paris agglomération. / Ce matin, l’Abbé Pierre est mort, on l’enterre sur TF1, / 2 clochards retrouvés morts près du canal St Martin. / Ce matin, le CAC va de l’avant, 2 soldats de moins pour l’Occident, / 10 civils de tués à Bagdad dans les bras sanglants des Giads (sic). /Toi et moi, dans tout ça, on n’apparait pas, / On se contente d’être là, on s’aime et puis voilà on s’aime. »

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