“Le Banquet” ou la poésie de l’espace multicouches

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Le Banquet. Exposition collective, détail.

Une maison identitaire

Le philosophe français Gaston Bachelard avance qu’il existe « un sens à prendre la maison comme un instrument d’analyse pour l’âme humaine. (…) Non seulement nos souvenirs, mais nos oublis sont logés. Notre inconscient est logé. Notre âme est une demeure. Et en nous souvenant des “maisons”, des “chambres”, nous apprenons à demeurer en nous-mêmes. Les images de la maison marchent dans le deux sens : elles sont en nous autant que nous sommes en elles. » L’exposition Le Banquet nous suggère que la maison est bien un corps d’images qui donnent à l’homme des raisons ou des illusions de stabilité. Sans cesse sa réalité est imaginée : distinguer toutes ces images serait peut-être dire l’identité de la maison liée à l’intime de chacun. Ce serait développer une véritable psychologie de la maison.

L’importance de l’identité que forge la maison, l’enveloppe à habiter est prégnante au sein du travail de Laure Marville, qui compte déjà à son actif une dizaine d’expositions essentiellement collectives. « A la racine de cette création, il y a l’idée d’intérieur domestique comme construction identitaire propre à son créateur et, partant, son habitant. Il serait en constante évolution, voire en quelque sorte « dressé » par le fait de vivre et évoluer dans cette espace »,note cette inconditionnelle de rock métal hardcore surpuissant et virulent. A contempler son doux visage posé en trois quart de profil, on songe par instants à la délicatesse des traits tissés de fils d’enfance chers à Maria Brink, Screaming Princess du groupe In this Moment, une chanteuse au look d’héroïne manga et à la voix mélancolique.

A la vue, les pouffes de Laure Marville disposés dans l’espace ne semblent pas à niveau idéal d’un point de vue ergonomique relativement à la table laissée en friche, comme désertée. Et où le fait de banqueter semble pour le moins utopique. « Il y a l’idée d’avoir un mobilier modulable conçu basiquement selon les normes du design, du mobilier du repos de l’ordre du salon ou de la chambre et non du mobilier de travail ou pour manger. Ce, au niveau des dimensions, de la hauteur des sièges et de leur largeur », souligne l’artiste.

La revue L’Autre à laquelle a participé l’architecte autrichien et zélateur du dépouillement intégral Adolf Loos n’avait-elle précisément pour dessein de bannir tout fonctionnalisme ? « Je me suis intéressée à cette notion d’art total rencontrée à l’orée du 20e siècle, notamment au détour de l’Art nouveau, et singulièrement, l’Ecole de William Morris en Angleterre. Cette dernière prend en compte de nombreux éléments, le mobilier, les objets, la musique et la peinture notamment. D’où l’idée d’un intérieur vivant, organique scandé de meubles dessinés comme des organes humains ainsi que le développe le travail du designer allemand, Bernhard Pancock et ses armoires en formes de poumons. »

La Genevoise détaille encore sa démarche : «  Relativement à cette idée du fonctionnalisme essentielle au sein du modernisme, je retiendrais l’approche de la philosophe allemande Hannah Arendt évoquant l’art comme quelque chose de profondément afonctionnel. Donc, dérangeant au plan économique relativement à ce par rapport à quoi l’on va fixer le prix d’une œuvre, c’est-à-dire arbitrairement. Pour Adolf Loos, ce qui peut troubler quiétude et habitudes avec l’art est son côté inconfortable ». A en croire l’architecte autrichien, en les ramenant à l’espace domestique, la maison serait responsable de ses habitants, tandis que l’art ne serait, lui, responsable de personne. Ce qui pourrait expliquer, selon Laure Marville, un malaise voire un dégoût manifesté envers l’art contemporain chez certains.

Bertrand Tappolet

Le Banquet. Villa Bernasconi. Jusqu’au 27 avril.
L’exposition Le Banquet étant évolutive, elle accueille désormais aussi le travail de l’artiste Laurent Kropf
www.villabernasconi.ch.
Collectif d’artistes Rodynam : www.laminoterie.ch

 

– Le kamishibai est un théâtre ambulant où des artistes racontent des histoires en faisant défiler des illustrations devant les spectateurs.

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