La fin prochaine de la galerie d’art traditionnelle est annoncée

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Photo: Documenta. Un événement majeur de la scène artistique qui se déroule à Kassel. Allemagne.

Pour la première fois depuis des centaines d’années, l’organisation du marché de l’art est en restructuration. Les ventes se font désormais plus dans les foires que dans les galeries et, d’ici 2020, la vente en ligne aura dépassé le mode de vente traditionnel en boutique d’art. Problème : selon le rapport de la Confédération Internationale des Négociants en Œuvres d’Art (CINOA), les marchands n’y sont pas préparés.

C’est dans le contexte de cette réorganisation que CINOA a confié à Clare McAndrew une recherche sur le monde opaque des marchands d’art. Les chiffres montrent que si la répartition des ventes est équilibrée entre les marchands et les salles de ventes aux enchères, les visiteurs des galeries se raréfient pendant que les manifestations et les centres internationaux ne cessent de s’étendre pour faciliter l’accès à un marché en voie de globalisation. Le manque de préparation adéquate des galeries afin de répondre aux exigences nouvelles imposées par les nouveaux comportements constitue un danger majeur.
En bref, après avoir rencontré nombre de marchands bien établis, Clare McAndrew a constaté que la majeure partie de ces professionnels n’a pas de réel « business plan » ni de stratégie claire, chacun d’eux étant convaincu d’être aussi unique qu’irremplaçable. Ce calcul est d’autant plus périlleux que le profil et les préférences des acheteurs, notamment parmi les super-riches, ont considérablement changé. La mécanique de vente actuelle repose sur un modèle si ancien que les marchands imaginent difficilement qu’elle puisse changer.

Les pratiques n’ont guère changé depuis la fin du XVe siècle

A Anvers, au début du XVIe siècle, les objets d’art étaient devenus des symboles de prestige qui n’étaient plus réservés à la noblesse et au clergé ; les banquiers et les notables devinrent des acheteurs importants. Pour la première fois, des peintres eurent la possibilité de produire des œuvres destinées à un marché ouvert et anonyme. La forte demande conduisit les artistes à élargir leur chaîne de production. Cette époque vit la naissance de grands ateliers d’où sortaient des tableaux produits de manière quasi industrielle. Le nouveau mode de production impliquait une nouvelle mécanique de vente.  Les premiers marchands se sont alors révélés indispensables pour informer et guider les collectionneurs dans leurs achats ainsi qu’orienter la production des peintres vers les thèmes les plus demandés.

Dès 1530, une bourse s’est tenue l’année entière à Anvers,  dans le « Schilderspand » (« Schilder » signifie : peintre, et « pand »: immeuble ), et n’était guère différente d’une foire actuelle. Ensuite, c’est vers 1600, à la cour de Charles I d’Angleterre, qu’apparaît le marchand – gentleman – connaisseur. Un nouveau marché et un public différent des princes et des prélats de l’église émergent alors. Depuis, les marchands forment et éduquent le public. Au XVIIIe siècle, les salles de ventes se développent, les princes et les grands collectionneurs, tout comme aujourd’hui, y dépêchent leurs conseillers marchands – connaisseurs pour enrichir leurs collections. Le marché s’est ensuite déplacé au gré des guerres, des révolutions et des développements des liens commerciaux.
L’époque de la révolution industrielle est souvent associée à l’origine de la forme moderne du commerce, celle où le commerce de l’art s’est libéré de l’emprise du commanditaire. Cette époque a favorisé la naissance d’une nouvelle classe moyenne qui a pu commencer à collectionner pour la première fois alors que cette activité était auparavant réservée aux plus fortunés.

Le grand tournant s’est effectué au début des années 1900 quand les acheteurs américains commencent à dominer la scène. Pour expliquer ce phénomène, Clare McAndrew cite la formule de Joseph Duveen, un important marchand de l’époque « L’Europe regorgeait d’œuvres d’art et les Etats-Unis avaient plein d’argent. » Les oeuvres passèrent alors des collections des aristocrates déchus à celles des acheteurs américains fortunés.

Le 1% des marchands se partage la crème du marché

En 2010, 43 milliards d’Euros ont été dépensés en oeuvres d’art et objets d’antiquité, et le marché s’est presque équitablement réparti entre les galeries (21,9 milliards) et les salles des ventes (21,1). Les ventes en galerie sont cependant en perte de vitesse et ne représentent plus que le 5% de leur chiffre d’affaires depuis le développement des foires.
Sur le plan mondial, 5000 des 375’000 marchands enregistrés auprès des principales places du marché réalisent plus de la moitié de la valeur des ventes totales. Les pièces d’un prix inférieur à 100’000 Euros ont constitué le 95% du marché, seul le 4% des marchands décroche des ventes d’une valeur supérieure à 10 millions d’Euros, celles qui dépassent les 50 millions sont réservées au 1% de la catégorie. L’activité des marchands d’art de pays comme les Etats-Unis et l’Allemagne se déroule principalement sur leur marché intérieur (respectivement 81% et 80%, tandis que ceux de Grande-Bretagne et de France sont plus actifs sur les marchés étrangers (62% et 52%).

Le succès des multiples foires tient à l’adoption du star système qui permet de drainer public mondain avide d’être vu, au comble de l’excitation à l’idée de pouvoir croiser Roman Abramovitch ou Brad Pitt au gré des stands. Mais là où la foire se pose en concurrente des salles de ventes c’est par l’opportunité qu’elle offre aux marchands de recréer l’atmosphère fébrile propre aux enchères quand plusieurs acheteurs se disputent un lot. Ces événements exercent une forte pression sur les marchands qui doivent engager des frais importants de location d’espace, de personnel, de promotion, de voyage et de transport, et disposer d’un stock d’œuvres à présenter.
…suite: l’avenir du marché passe par l’Internet

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Publié dans économie, expositions