Dans le champ de l’inattendu avec Gianni Motti

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“Spauracchi» (épouvantails), 2013. Installation. © Gianni Motti. Jusqu’au 27 octobre 2013 au Palais de l’Athénée, Genève.

L’exposition qui se tient au Palais de l’Athénée marque la remise du prix de la Société des arts de Genève à l’artiste genevois Gianni Motti. Sous le titre “Spread”, elle s’ouvre sur une installation d’épouvantails fichés dans la paille sur laquelle pourraient se retrouver les auteurs du complot mis en scène.

Rares sont les artistes qui entrent aussi rapidement dans la légende comme Gianni Motti dont la “force de frappe”, pour reprendre l’expression de Jérôme Sans, repose sur l’inattendu. L’artiste réussit à s’inviter là où on ne l’attend pas, revendiquant ici un tremblement de terre, là l’explosion de la navette Challenger, ou, lors d’une session des Droits de l’Homme à l’ONU, s’asseoir dans le fauteuil d’un délégué absent et intervenir en faveur des minorités. Ses détournements de situation transforment un événement naturel ou politique en expérience critique.

L’exposition qui se tient au Palais de l’Athénée marque la remise du prix de la Société des arts de Genève à Gianni Motti. Sous le titre “Spread”, elle s’ouvre sur une installation d’épouvantails en tant que symboles de la conspiration ourdie par les institutions internationales tel le FMI, et  l’utilisation de la peur comme outil de gouvernance.

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Au centre : Noah Stolz (président du jury du prix de la Société des arts de Genève), et Gianni Motti entourés de “businessmen» convoqués à l’occasion du vernissage. 24 septembre 2013. Photo GenèveActive.

Le Spread de crédit vient d’un mot anglais qui veut dire écart et représente la somme d’une estimation de l’espérance mathématique du risque de défaut de l’emprunteur pendant la durée du prêt ; et d’une prime de liquidité, c’est-à-dire une estimation du coût de négociation de l’instrument, soit une donnée qui reste obscure pour la majorité des citoyens. Cette obscurité est primordiale pour le bon déroulement du processus de mystification de la masse. Crises économiques, changement climatique, déferlement de réfugiés, terrorisme, voilà le panorama mis en scène quotidiennement par les médias de grande diffusion. Cette image contribue à forger l’image de gouvernements impuissants à contrôler les événements, ouvrant ainsi un boulevard à l’extrême droite, sinon à la dictature et à la guerre.
La mystification du peuple par l’incitation à la consommation pour satisfaire des désirs individuels caractérise la société du spectacle théorisée par Guy Debord. Aujourd’hui, ce spectacle est fourni par la mise en scène d’une crise économique alors que de plus de plus de voix indiquent qu’un changement de système est en cours.

En janvier 2013, à l’occasion du forum économique de Davos, Olafur Ragnar, président de l’Islande Grimsson a encouragé ses auditeurs à “penser davantage aux peuples qu’aux banques”, un discours: “Pourquoi considère-t-on que les banques sont des saintes-chapelles de l’économie moderne, et pourquoi ne peuvent-elles pas faire faillite comme les compagnies aériennes ou les entreprises de télécommunication, si elles ont été gérées d’une façon irresponsable ?? La théorie que vous devez payer pour sauver les banques est une théorie selon laquelle les banquiers peuvent jouir de leurs propres bénéfices et de leur succès, puis que les gens ordinaires payent pour leurs échecs au moyen des impôts et de l’austérité, et dans les démocraties éclairées, les gens ne l’accepteront pas sur le long terme.”

Le bon usage des spauracchi les amène à accepter l’inacceptable.

 

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Eclipse totale de soleil, Mercredi 3 septembre 2081“. Carton d’invitation.

Gianni Motti invite à partager des événements célestes, éclipses, chutes de météorites, autant d’observations de phénomènes qui créent l’occasion de créer une sensation de communitas lors du partage d’un moment éphémère, unique. C’est également l’occasion d’ironiser sur l’omnipotence généralement attribuée à l’artiste.

 

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Eclipse totale de lune, 16 septembre 1997». Vernissage sur le toit de la Cité radieuse – Le Corbusier, Marseille. (Détail de l’exposition, photo GenèveActive).

 

 

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29 juin 1992. “Le Matin». Coupure de presse d’un journal suisse.

“Gianni Motti est un artiste qui fait de l’art comme on va à la pêche : il pose plusieurs lignes, attend avec patience et se rue sur l’événement quand enfin il mord à l’hameçon.” Philip Ursprung.

 

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HIGGS, A la recherche de l’anti-Motti» (détail), 2005, CERN.

Lors d’une marche de 27 kilomètres, accomplie en cinq heures cinquante, Gianni Motti, suivi par une caméra, a fait le tour de l’anneau qu’un proton accomplit onze mille fois par seconde. “Dans ce très long métrage, le temps s’abolit, comme s’il ne passait plus. Le marcheur s’envole tel un atome perdu dans les cycles de l’univers. Un étrange malaise nous saisit, celui-là même qu’Einstein appelait relativité.” Daniel de Roulet.

 

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Le 29 juillet 1989, à Ribarteme, Vigo, en Espagne, Gianni Motti s’est installé dans un cercueil puis a détourné la cérémonie en faveur de Santa Marta en s’incrustant dans l’événement. A la fin de la procession, il a tenté sa propre éclipse sous les regards suffoqués de l’assistance qui a cru au miracle…

 

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Big Crunch Clock, 5’000’000’000/1999»Horloge digitale (compte à rebours). 2006 – 2014, Palais de Tokyo, Paris.

La “Big Crunch Clock» décompte le temps restant avant l’extinction du soleil et la fin de l’univers.

 

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1996. Hôtel Intercontinental, Genève. Performance durant une soirée organisée par l’Ambassade Américaine.

Lors de la campagne “MOTTI 96″», par son site internet, Gianni Motti s’est lancé dans la course à la Maison-Blanche, il a profité d’une soirée organisée par l’ambassade des États-Unis pour occuper un instant le podium et prononcer un bref discours. Il avait auparavant proposé de se servir de l’information pour propager des discours pacifistes.

 

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Gianni Motti et son “Portrait avec comète (Hale-Bopp)», 1997. Photo JM. GenèveActive.

“Gianni Motti ne veut pas entendre parler du monde de l’art mais le monde de l’art a besoin de lui. Il a besoin de lui car il incarne un de ces artistes qui contribuent à la compréhension d’un système non pas en méditant sur les caractéristiques dudit système, mais en explorant les marges et en s’aventurant dans des domaines connexes voire exogènes.” Marc-Olivier Wahler*.

 

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Gianni Motti, prix de la Société des Arts, Arts Visuels 2013, Genève.

* Les citations d’auteurs sont extraites du catalogue publié à l’occasion du prix.

Exposition à la Salle Crosnier du Palais de l’Athénée, Genève. 24 septembre au 24 octobre 2013.

La Société des Arts, Fondée à Genève en 1776, a procédé en 2007 à la refonte des divers prix qu’elle décernait de très ancienne date, soit Diday et Calame, pour la peinture; Spengler, pour le dessin, Harvey, pour la Figure, Neumann, pour la sculpture; Stoutz, pour les artistes genevois ou confédérés.

Le Prix de la Société des Arts – Genève / Arts visuels distingue des artistes jeunes laissant deviner un potentiel de développement – et des artistes plus mûrs, qui n’ont pas encore été assez mis en lumière. Il ne s’adresse pas aux étudiants des Beaux-Arts ni à des artistes pleinement reconnus et célébrés partout. Il récompense des artistes suisses ou étrangers établis en Suisse depuis cinq ans.

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2 commentaires pour “Dans le champ de l’inattendu avec Gianni Motti
  1. Brigitte Audeoud dit :

    On retrouve une esthétique mise en avant par un Tadeusz Kantor ou encore Christian Boltanski dans ‘Personnes’ dans l’expo tenue au MAC/VAL en marge de Monumenta 2010. Nous sommes au temps du remake, du reenactment, de la reprise, c’est très contemporain.

  2. Gilles SONDEREGGER dit :

    SVP pourriez vous me faire parvenir les photos de groupes concernant l’exposition? Je faisais partie des figurants aux crânes rasés (le plus petit…) et je ne me retrouve pas dans les quelques photos que vous avez publié.

    Merci d’avance