Débat GenèveActive : Quels choix pour une nouvelle politique culturelle ?

fête de la musique

– Est-il d’objet de réflexion plus politique que celui du devenir culturel ?
– Quelle est l’identité culturelle visée par la Ville de Genève ?
– S’agit-il de privilégier la diversité ou de concentrer ses efforts sur certains domaines ?
– Comment répondre aux enjeux posés par les nouveaux modes de consommation de la culture ?
Forum GenèveActive le 11 octobre 2011 au Grü.

Forum GenèveActive, mardi 11 octobre, de 12h15 à 13h30, au Grü, 2e étage, Théâtre du Grütli, Genève.
Entrée libre. Merci de réserver.  Organisation: forums (at) geneveactive.ch

Intervenants:
Sami Kanaan, Conseiller administratif, Département de la culture et des sports
Arthur de Pury, Directeur du CAN (Centre d’art Neuchâtel)
Olivier Schinz, Conservateur-adjoint, MEN (Musée d’ethnographie Neuchâtel), mandataire de l’Etat de Genève pour la recension des traditions vivantes du canton
– modérateur : Jacques Magnol

Quel est l’impact du politique sur les contenus et les formes de la culture ?

Les politiques culturelles privilégient traditionnellement le secteur des institutions de la culture cultivée et paraissent accorder moins d’attention à la culture de masse. De nouveaux types d’événements culturels et festifs (Fête de la musique, Nuit de la science,  Nuit blanche, Nuit des musées, événements culturels hors les murs des institutions) remportent un succès grandissant à chaque édition.
Le philosophe américain Richard Shusterman a étudié l’implication sociale des cultures populaires, notamment dans le cas du hip-hop et du rap, il souligne combien la reconnaissance de ces cultures a constitué un véritable enjeu politique, au risque d’être rattrapées par le marché et l’institution.

En France, selon le rapport du Service de la coordination des politiques culturelles et de l’innovation (ministère de la culture), la politique culturelle n’est pas différente de celle qui prévaut encore aujourd’hui à Genève et « tend à privilégier une conception de l’art basée sur le principe de l’excellence et de rareté et à soutenir une forme de création artistique en rupture avec les goûts du public. Les institutions privilégient aujourd’hui le genre de l’art contemporain, comme elles privilégiaient hier le genre de la peinture d’histoire et continuent à définir des hiérarchies entre artistes et disciplines artistiques, laissant à la marge des pratiques encore considérées comme émergentes. »
Quel équilibre tenir entre le développement de projets dans le champ classiquement visé par la culture et le soutien à des formes plus populaires?

 La politique culturelle au service de l’image de la ville

Les éléments culturels sont capables d’améliorer l’image et l’attractivité d’une ville indique un rapport de l’OCDE*:

“Auparavant, la politique culturelle constituait essentiellement un service social destiné à offrir au plus grand nombre l’accès au patrimoine culturel et artistique, elle a désormais acquis le statut d’instrument stratégique pour la promotion de la ville, partant de l’idée qu’elle a le potentiel de rehausser l’image de la ville et son attractivité, mais aussi de stimuler le tourisme urbain. Elle doit également contribuer à diversifier le tissu économique local en encourageant la production culturelle locale à se transformer en de véritables secteurs du savoir.

En réalité, dans bien des cas où cette perception s’est confirmée, la politique « culturelle » se trouvait au coeur de la stratégie. Cette dernière reposait sur l’hypothèse largement partagée selon laquelle la culture exerce une puissante force d’attraction sur les travailleurs très qualifiés et créatifs, et les tentatives visant à les persuader de venir s’installer dans certaines villes auront plus de chances d’aboutir si elles misent aussi sur l’art, la culture et le divertissement. L’infrastructure culturelle (théâtres, musées et galeries) exerce une grande force d’attraction sur les créatifs car elle leur offre des possibilités de mener une vie intéressante. Des données empiriques viennent corroborer cette hypothèse.

L’enquête réalisée par la Kommunalverband Ruhr montre que 69 % des cadres interrogés estiment que les lieux culturels urbains contribuent fortement à l’image et à la qualité de vie d’une ville. Par ailleurs, les entreprises du secteur tertiaire ont tendance à considérer la « culture » comme un critère important pour le choix de la localisation, 50 % d’entre elles portant un regard positif sur la culture, contre 30 % pour les entreprises du secteur secondaire.

Depuis quelques années, on assiste à une prise de conscience croissante du potentiel économique que représente l’accueil de manifestations de premier plan pour la régénération urbaine. Ces événements constituent d’excellentes opportunités de marketing pour une ville. Ils attirent en effet l’attention aux niveaux national et international.
De même, les musées ont joué un rôle moteur dans la politique culturelle. Ils sont devenus un élément tellement commun que, dans les années 80, il s’en ouvrait un tous les quinze jours en Grande-Bretagne. La quasi-totalité des grandes villes possédant des musées, ce type de politique a suscité une offre pléthorique d’endroits culturels, qui ne constituent plus de ce fait un facteur déterminant pour l’attrait de la ville. Les politiques axées sur l’événementiel ont engendré des problèmes similaires. Selon le degré d’intégration de la politique culturelle dans le marketing territorial, on choisira des contenus culturels « moins risqués » et davantage orientés sur la consommation, marginalisant ainsi des activités culturelles autochtones.”

 La révolution numérique s’invite aussi dans la culture

“L’hypothèse d’une accélération du changement culturel appelant une fonction renouvelée de veille et d’analyse, est sérieuse. Cette hypothèse résulte de la combinaison des dynamiques techniques, économiques, sociales, cognitives en cours. Elle incline à penser la possibilité d’un changement de paradigme culturel, une très profonde transformation de la culture au cours des prochaines décennies. Constitué d’effets générationnels, du déclin lent de l’imprimé et de la culture écrite, de nouveaux rapports aux savoirs, de la relativité des goûts et de la formation des identités, de la toute-puissance de terminaux communicants de « contenus » de tout ordre, de l’indistinction entre loisirs, cultures, pratiques, de la recomposition des territoires et des réseaux de sociabilité, de l’aspiration aux choix de formes multiples de vie etc., un devenir culturel très différent de celui qu’on connaît émerge probablement. Cette hypothèse, celle d’une rupture, déjà à l’œuvre interroge le cadre d’une possible prospective des politiques culturelles, telles que nous les connaissons.” Philippe Chantepie, Chef du Département des études, de la prospective et des statistiques au ministère de la Culture (France).

Le changement de paradigme sans précédent auquel les technologies de l’information et de la communication nous confrontent trouve son origine dans la nature digitale de l’information alliée à la mise en réseau des contenus et des personnes. Si elles désirent répondre aux défis qui les attendent, de nombreuses organisations, tant publiques que privées, devront s’inspirer de ces modèles souvent en rupture avec le courant dominant, sous peine de connaître des difficultés grandissantes, à l’image des problèmes que connaissent les industries du cinéma et de la musique qui n’ont pas toujours su se réinventer dans ce nouveau paradigme. Dans un contexte plus général, ce thème fera l’objet d’une rencontre organisée par l’Observatoire technologique (DCTI), le 25 novembre 2011 à Genève.

 

Les créatifs : une branche trop discrète de l’économie

En Suisse, selon le communiqué de l’Association des Industries Créatives de Suisse, fondée en 2009, plus de 200’000 personnes travaillent en Suisse dans ce domaine qui représente 5.4% des emplois et 4,2% du PIB, contre 2,5% pour l’industrie horlogère. Le Hub-Lausanne note que la tendance est à l’augmentation:

“A Zurich sous l’impulsion du canton et de la ville, une plate-forme commune a été créée sous le nom de Creative Zürich. Bâle est la seule ville qui s’engage explicitement pour la promotion des industries créatives. Les industries créatives constituent en effet une des cinq branches de sa politique économique actuelle. Selon une étude publiée en 2010, il y a à Bâle 11’300 emplois dans les industries créatives, soit 7.1% des emplois. En Suisse Romande, la situation est différente de celle de la Suisse Alémanique. Ainsi, l’Association des Industries Créatives de Suisse ne compte aucun membre venant de Suisse Romande. Le terme « industries créatives » est pratiquement inconnu dans le monde francophone.
La matière grise est une des ressources les plus importantes de la Suisse. Jusque là, on a considéré surtout la matière grise scientifique et technologique. La matière grise créative recevait jusqu’à aujourd’hui encore peu d’attention. Les créatifs constituent donc une branche relativement petite et discrète de l’économie, mais importante pour les industries traditionnelles puisqu’ils innovent et apportent un facteur de différenciation.”

Quels que soient le ou les scénarios d’avenir, les politiques culturelles auront à répondre aux défis de la globalisation, de la révolution numérique, des mutations des rapports entre individu et sociétés. La compréhension, la perception et l’interprétation de chacun de ces défis forment des enjeux pour les politiques publiques.
« Maintenant, le besoin de politique culturelle est plus fort que jamais » indique le géographe Allen J. Scott** (vidéo) qui conseille d’être « plus conscients politiquement de culture et de la culture que l’on consomme. Une grande passivité affecte actuellement les consommateurs de culture.»
Est-il d’objet de réflexion plus politique que celui du devenir culturel ?

Jacques Magnol

* Villes et compétitivité. un nouveau paradigme entrepreneurial pour l’aménagement du territoire. OCDE. 2007.
** Lauréat en 2003 du “Prix International de Géographie Vautrin Lud”, distinction considérée comme le Prix Nobel de la géographie.

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