Cinéma. L’automne des femmes palestiniennes

A Space Exodus

Mettant en scène des destinées poignantes et une réflexion sur les femmes palestiniennes opprimées jusque dans leur propre communauté, deux courts métrages, Un Exil dans l’espace (Space Exodus) et Fatenah sont à découvrir dans le cadre des premières Rencontres cinématographiques : Palestine. Filmer, c’est exister et sur le net.

Fatenah

Film en 3d au graphisme épuré et aux atmosphères paysagistes denses et ciselées, Fatenah (2009) est signé Ahmad Habash. L’intitulé de l’opus, c’est le prénom d’une jeune femme qui nous parle du paradis alors qu’au fil de sa vie terrestre, elle rêvait d’amour et d’une vie normale dans un camp de réfugiés à Gaza. Cette  couturière suspecte un cancer sein et les médecins palestiniens de Gaza consultés sous-estiment la gravité de la tumeur identifiée dans un grand hôpital après une mammographie.

Les conséquences de l’impitoyable lock-out israélien sont montrées ici dans leurs conséquences délétères sur la vie quotidienne des femmes. Le récit de Fatenah est inspiré de l’histoire réelle du combat de Fatma Bargouth contre le cancer, décédée à 29 ans, empêchée de se soigner à cause du blocus israélien imposé à la Bande de Gaza depuis 2007. Il y a cette ambiguïté qui fait toute la poignante et douloureuse beauté de la réalisation : le trait net, coupant, volontiers simpliste des dessins et des figures se dérobe peu à peu sous les effets de brouillage oniriques de la mise en scène, de plages contemplatives. Ces dernières n’enlèvent rien à la violence et à l’attente jusqu’à l’épuisement à l’œuvre dans le plus grand point de passage entre Palestine et Israël soumis à l’arbitraire des gardes-frontières. C’est l’immense Check Point de Qalandiya, à l’Est de Jérusalem sur la route de Ramallah, du côté appelé West Bank. Comme le montre parfaitement le film, au Check Point Qalandiya, il existe trois passages obligés, bloqués par un tourniquet qui impose son rythme. Il faut ensuite passer au contrôle d’identité et par le détecteur de métaux. Son déclanchement fera subir à Fatenah la pire humiliation de sa courte vie. Le passage qu’elle emprunte est appelé « humanitaire », Humanitarian Gate, parce qu’il est réservé aux femmes, aux enfants, aux malades et aux vieillards, mais il ouvre plus tard, et, pour être à l’heure si on est dans cette catégorie, il faut jouer des coudes dans d’autres files, ou compter sur la bonne volonté des uns et des autres. En témoigne dans le film d’animation, le militaire qui, malgré des ordres supérieurs directs reçus par radio, ne laissera pas passer le père et la sœur de l’infortunée.

 

L’odyssée spatiale et identitaire au féminin

Alors que la Palestine prise entre les feux croisés du Hamas, le relatif népotisme de l’Autorité palestinienne et les opérations militaires mortifères israéliennes, accède au statut d’Etat observateur au sein de l’ONU et qu’une fragile trêve s’étend sur Gaza, l’artiste visuelle palestinienne Larissa Sansour offre avec Un exil dans l’espace (2009) un sidérant périple évoluant au ralenti sur la pulsation lyrique de la bande originale du film de Kubrick (Strauss ici) remixée avec des effluves orientales, dans un costume de palestinaute (cosmonaute étant attribué aux Américains et spationaute, aux Russes), elle déplace la conquête de l’espace dont l’acmé eut lieu au plus fort de la Guerre du Vietnam et la nomme exode. Avec une ironie distanciée à la Pipilotti Rist, dans son casque, on entend grésiller : Jerusalem, we have a problem. Une référence directe à une réplique du film Apollo 13 signé Ron Howard avec Tom Hanks, où une mission spatiale américaine vit sont retour, un temps compromis, par l’explosion d’un réservoir d’oxygène.

La Palestine se trouve projetée au rang de grande puissance mondiale. «Il y a une émigration massive de la Palestine aujourd’hui », reconnaît Sansour. «Les conditions de vie des gens deviennent si intolérables qu’ils sont forcés à quitter cette terre. Comme notre réalité est tellement absurde, je me sentais libre de faire mon propre espace. » Dans d’autres vidéos, Larissa Sansour convoquait déjà de musique de genre (western et sitcom) pour insuffler aux images du quotidien, une dimension onirique, décalée voire parodique. Ces dernières étaient néanmoins clairement rattachées à la forme documentaire qui témoignait des humiliations et exactions subies. La thématique de l’espace, de son contrôle et de son appropriation, est essentielle chez une artiste qui connaît la dispersion d’un peuple, mais aussi un espace fragmenté, quadrillé, déréglé par l’armée israélienne dans son occupation des territoires et l’enfermement à Gaza.

Mais l’essentiel semble ailleurs. Sur sa combinaison, plusieurs images et motifs brodés pourraient évoquer la résistance des femmes palestiniennes, militaire certes, mais intérieure aussi. Elles sont en effet les grandes perdantes et victimes du conflit sans fin et de la situation chaotique régnant à Gaza, la plus grande prison à ciel ouvert au monde. Là, elles doivent faire face à un vent de conservatisme, à la pratique du crime d’honneur, aux viols, humiliations, intimidations et violences. Dans la figure de la palestinaute en babouches moulées sous sa combinaison immaculée plantant le drapeau palestinien sur le sol lunaire, saluant la terre de la main et partant pour un périple intersidéral sans fin, quelque chose se lit de l’incroyable force qu’il faut aux femmes palestiniennes pour surmonter bien des obstacles à leur propre vie et survie. Larissa Sansour a parfaitement retenu l’intranquilité étale, physique et métaphysique de l’être humain (ici une femme et la figure de l’artiste elle-même) dans des espaces infinis que véhiculait l’opus de Kubrick.

Femmes en Palestine

La situation des femmes de Palestine n’est, dans leur immense majorité, guère enviable. Elles sont quotidiennement opprimées, humiliées par les troupes d’occupation et le racisme. Mais aussi par des lois sexistes, discriminatoires, des traditions patriarcales virulentes et le conservatisme sectaire et réactionnaire de certains groupes, comme le Hamas. Ainsi elles n’ont pas le droit de se marier sans l’accord paternel. Et l’union maritale est davantage de l’ordre d’une transaction entre familles que l’aboutissement d’une relation amoureuse entre deux personnes autonomes et indépendantes. Alors que le conjoint a droit à la polygamie, il est particulièrement ardu pour une femme d’obtenir le divorce sans le consentement du mari. Sous le contrôle et le pouvoir discrétionnaire quasi constants des hommes, les femmes sont aussi soumises aux violences conjugales qui font des ravages touchant 70% d’entre elles et restant souvent impunies. Il est clair que le degré de civilisation et l’humanité d’une société se mesurent aussi à l’aune des libertés et droits des femmes qui sont très intensément investies dans la vie sociale et économique de la Palestine. Leur rôle cardinal dans l’existence familiale, celle des villages, villes et au sein de la vie associative notamment font des femmes un élément essentiel de la société palestinienne et de la cohésion sociale de la région.

Palestine. Filmer, c’est exister. Jusqu’au 2 décembre. Cinéma Spoutnik. Renseignements.

Pour visionner A Space Exodus : http://vimeo.com/21372138

Pour voir Fatenah en trois parties

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Un commentaire pour “Cinéma. L’automne des femmes palestiniennes
  1. catherine hess dit :

    Merci d’avoir parlé de PALESTINE: FILMER C’EST EXISTER. Mais je ne peux m’empêcher de réagir à l’amalgame que vous faites entre le film d’Ahmad Habash “Fatenah” et celui de Larissa Sansour “Un exil dans l’espace”. S’il est juste de dire que “Fatenah” évoque les conséquences dramatiques du blocus israélien de la bande de Gaza sur les problèmes de santé,tout en touchant à certains problèmes que vivent les femmes en Palestine – mais le blocus est bien plus important en l’occurence!- je ne pense pas du tout que la situation des femmes est le sujet de “Un exil dans l’espace” ! Et je ne pense pas que ayez trouvé un mot de Larissa Sansour à ce sujet! Ce court-métrage magnifique traite bien de l’exil auquel est acculé le peuple palestinien, voire au nettoyage ethnique organisé par l’Etat israélien, chaque jour un peu plus clairement, et ceci malgré le vote récent de l’ONU!
    Il est important de parler de la double lutte des femmes palestiniennes, d’abord contre l’occupation israélienne et l’avance de la colonisation des terres et villages palestiniens, ET de leur lutte pour construire une société palestinienne qui respecte les droits des femmes! Mais documentez-vous!Les femmes palestiniennes ne sont pas que des victimes, elles se battent pour construire cette nouvelle société! L’association “Centre pour le Développement de la Femme Palestinienne” à Tulkarem (nord de la Cisjordanie) mène de front ces deux luttes, c’est pourquoi l’association Femmes en Noir de Genève (FeN) soutient leurs projets depuis 5 ans et est allée leur rendre visite en 2004 et 2007.
    A votre disposition pour de meilleures informations.
    Catherine Hess – co-responsable de PALESTINE: FILMER C’EST EXISTER et membre de FeN-Ge.