Féminités telluriques

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“Venus L”. 2013. Muriel Décaillet.

Rouge filé

Dans l’œuvre de Muriel Décaillet, un horizon – la ligne rouge -, est décliné en variantes et rythmes contrastés. Cette oscillation réfère au premier sang, au cycle menstruel et aux personnages hybrides. « Les protagonistes sont à mi-corps entre l’humain et l’animal, quasi transgenre. Le trouble s’étend à la présence des masques qui peut se confondre avec la Mort. L’exposition témoigne d’un intérêt particulier pour la préhistoire et les débuts du paléolithique qui me passionne par l’anthropologie. »

Significativement, un tableau de l’ensemble Chtoniennes ne recèle pas de couleur rouge. Il s’agit précisément d’une réalisation inspirée de l’image de la Grotte Chauvet située en Ardèche représentant des lionnes semblant courir, témoignage de l’art rupestre paléolithique avec 420 représentations d’animaux. Il s’agit ainsi d’une pure reproduction sans incise personnelle pouvant se traduire par l’introduction du rouge. »

Traiter ce visuel de félines à travers le matériau de prédilection élu par l’artiste, le fil de laine, fut une manière de recréer une œuvre de la préhistoire en 3d une œuvre en grotte avec le fil, son épaisseur qui insuffle une dynamique au mouvement de la tribu de lionnes. D’où le choix de différentes épaisseur de laine pour la création du tableau. La composition présente une forme de palimpseste, de surimpression transitant de la forme à l’informe en passant par des différentes densités de matière. La dynamique participe du mouvement de la chasse. L’agencement s’est fait, de manière classique, en distinguant différents plans rythmiques, « une sorte de découpage du visuel ». Le titre du tableau ? Evolution. Il rend bien la dimension cinématique de la représentation.

Du côté du théâtre

Muriel Décaillet collabore également avec la création théâtrale comme scénographe et costumière. En témoigne Scum Manifesto, où elle imagine synapses, membranes quasi vivantes, rhizomes et terminaisons nerveuses. Sans taire un couple de marionnettes en bas nylon, pantins disloqués ou poupées sans visages pour plaisirs solitaires au détour de Scum Manifesto. Une pièce d’après le manifeste le plus extrême de l’histoire des genres. Il est signé Valérie Solanas et mis en scène sous forme de fragments par Miguel Fernandez. L’Américaine est passée par les abus sexuels en famille, la prostitution et les manipulations masculines. Elle se rend tristement célèbre par sa tentative d’assassinant d’Andy Warhol avec des balles recouvertes de papier argenté, le pape du pop art étant aussi d’ascendance vampire à ses yeux.

En décembre dernier, sur le coup de midi, Muriel Décaillet accompagnait au Théâtre du Grütli, la comédienne Martine Corbat reprenant l’un des bilans de vies féminines d’Inventaires. En 1987, le dramaturge Philippe Minyana, dans le sillage de Michel Vinaver ou Jean-Paul Wenzel puisait son inspiration dans le quotidien le plus trivial, les objets. Ici un vêtement incarné dû à Muriel Décaillet fait de sphères en bas nylon, excroissances évoquant le cancer de la fantasque Angèle qui se tord dans un art corporel filant de cassures en fêlures.

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