“Dérives médiatiques” ou les composantes de la presse passées au scanner

scène

Dans « Le Joint », mis en scène par Eric Salama, le dramaturge français Armand Gatti, imagine des personnages représentant des rubriques quotidiennes (Bourse, Fait divers, Politique intérieure, Publicité…), les personnages mentionnés dans les articles qui disent « avoir été interprétés par les journalistes », un choeur de lecteurs qui payent le produit et interprètent son contenu, et deux journalistes, l’un de Libération, l’autre de Paris Match esquissant autant de manières d’aborder le journalisme : l’approche du grand reporter parcourant le monde et celle du rédacteur vissé à  son fauteuil. Décapant.

Entretien avec Eric Salama

portrait

 

Tous les protagonistes gravitent autour d’un journal en décomposition-recomposition sous l’influence d’une nouvelle école de prêt-à -penser pseudo révolutionnaire. Cette dernière prend en otage un média occidental, « Le Joint », pour porter la lutte dans la tête pensante du monstre ultralibéral et en réinitialiser les forces vives. Ce, au fil de séances de rééducation morale et politique avec au programme : enthousiasme et transe obligatoires. Sans oublier les battements rhapsodiques de mains, qui rappellent ici ou là  certaines méthodes d’endoctrinement du régime khmer rouge parvenu au pouvoir en avril 1975, année où paru la pièce signée Armand Gatti. Les composantes de la presse (journalistes, rubriques privilégiées, mise en page, ligne éditoriale fluctuante, place de la pub notamment) sont ici passées au scanner d’une pensée arborescente à  la rare densité de contenu, tant critique et sémiologique, que politique et poétique.

Fin connaisseur de l’oeuvre de Gatti, le metteur en scène genevois Eric Salama orchestre cinq comédiennes et trois comédiens dans cette partition tour à  tour concertante et déconcertante. Scénographiquement, tous sont pris entre les box cartonnés figurant aussi l’espace de la plaidoirie dévolue à  chaque rubrique du journal devenue personnage, et le tableau mural des unes affichées, sans cesse changeantes et reconfigurées. Comme un choeur conteur ou une chronique de voix, tous dessinent une belle entrée en pays Gatti, où les enjeux déployés concernent le conformisme idéologique de la plupart des journalistes, l’exercice de l’écriture journalistique face à  un réel qui résiste et une vérité problématique.
Une pièce d’actualité
Monté « Le Joint » aujourd’hui se révèle particulièrement salutaire à  l’heure où l’introspection des médias, lorsqu’elle existe, se limite souvent à  des considérations générales qui minimisent la responsabilité individuelle des journalistes. On évite la critique factuelle en se focalisant, par exemple, sur la pression économique que connaît cette profession, comme toutes les autres. Témoin les récents commentaires en Suisse sur le rachat du groupe Edipresse par Tamedia.

Bertrand Tappolet
« Le Joint », Maison de Quartier de la Jonction,
18 bis av. Sainte-Clotilde,
Location/Renseignements: 022 708 11 70
Jusqu’au 13 juin 2009 à  20h30

Tagués avec : , ,
Publié dans scènes
Un commentaire pour ““Dérives médiatiques” ou les composantes de la presse passées au scanner
  1. Geneviève Delaunay dit :

    Ai vu et écouté avec grande attention et à  travers un rythme soutenu, ce “Joint” d’A Gatti. Le propos et les idées foisonnantes de cet auteur à  la vie mouvementée et riche, ont été intelligemment servis par la mise en scène sobre de Eric Salama. Il faut ajouter que sans le choix de ces 6 comédiens remarquables de subtilité et vifs, sans être lassants un seul instant, fort bien dirigés, ce fut et reste pour moi, une réussite et un régal. Chapeau !