De William Sakespeare à  Heiner Müller, sous le signe de la vengeance

 scène

Anatomie Titus Fall of Rome c’est selon Heiner Müller 30% de son cru et 70% de Shakespeare, les deux centrant leur attention sur le thème de la vengeance dans ses modes les plus sanguinaires et sans pitié. Après avoir subi les régimes nazi et communiste, Müller a apporté en connaisseur sa contribution au texte de Shakespeare.

Dès son entrée dans l’espace scénique le spectateur est invité à  manger pour de bon le visage de Titus  dans une intervention plastique et gastronomique de Cyril Vandenbeusch, à  la fin de la pièce ce sont les comédiens qui se livreront à  un autre repas cannibale. Pour Gabriel Alvarez, l’anthropophagie occupe une place importante “Dans cette réécriture du Titus Andronicus de Shakespeare, on se tronçonne, on s’égorge, on se viole, on se mange…  Pas une goutte d’espoir, pas de psychologie, juste la représentation d’une communauté qui se déchire et s’entre-tue.”

Entretien avec Gabriel Alvarez. Par Jacques Magnol.

[display_podcast]

 

Pour ce combat entre entre Titus, général imaginaire de la Rome impériale, et son ennemie Tamora, reine des Goths, Gabriel Alvarez a adopté un procédé dramaturgique remarquable chez Müller : le commentaire. “Des zooms inattendus qui guident le lecteur/spectateur dans la logique du drame et du personnage. Le commentaire déplace les accents, fait exploser au ralenti la forme shakespearienne.
Nous allons utiliser ce procédé pour mettre en dialogue, en confrontation deux niveaux dramaturgiques : l’action scénique et la rhétorique. Les commentaires seront traités comme des partitions chorales. Ils serviront à  faire avancer l’action. Ils vont livrer le cheminement de l’auteur en donnant son point de vue sur certains faits du récit, leurs conférant ainsi une réalité subjective, indépendante.”

Gabriel Alvarez a choisi une disposition frontale où le public séparé en deux parties se fait face, les comédiens sont au centre et font eux face à  Müller pendant que suspendu à  quelques mètres au dessus du sol un musicien tonitruant gâche avec obstination le travail de ses collègues.

“Anatomie Titus Fall of Rome est une pièce hautement politique. Elle force, invite à  réfléchir sur le principe perturbateur du vivre ensemble, sur la puissance de dissolution des liens entre les hommes.  La pièce de Müller est une machine à  penser notre monde, celui des bandes, des gangs et des tribus modernes créés par la société de consommation. C’est une pièce de l’effroi sur la violence et sa manifestation théâtrale.”

Anatomie Titus Fall of Rome. Direction artistique : Gabriel Alvarez
Avec : Mario Barzaghi (Titus), Clara Brancorsini (Tamora), Sandra Gaspar (Marcus), José Ponce (Aaron), Laurent Dupuy (Demetrius), Pierre Lucat (Chiron), Adrien Kessler (l’ange malchanceux), Chantal Marti (Lavinia), Olivia Trnka (Saturnin), Mathieu Ziegler (Lucius)
Du 9 au 28.juin 2009.  BLACK Box. Grutli. Genève.
En bref :
« Anatomie Titus Fall of Rome est un texte actuel sur l’irruption du tiers-monde dans le premier-monde, plus un Sénèque pour foire annuelle qu’une tragédie; c’était aussi, après les créations comprimées, élitistes des années précédentes, une sorte de débauche, une plongée dans les bas-fonds, dont le théâtre a besoin… » (Heiner Müller)
Dans cette réécriture du Titus Andronicus de Shakespeare, on se tronçonne, on s’égorge, on se viole, on se mange…  Pas une goutte d’espoir, pas de psychologie, juste la représentation d’une communauté qui se déchire et s’entre-tue. Véritable machine à  penser le monde, la pièce de Müller interroge ici les rites de violence du monde contemporain.  Et demande : qu’est-ce qui fait l’humain dans l’homme ? Gabriel Alvarez n’en est pas à  son premier contact avec l’à“uvre de Müller. Il poursuit sa recherche d’une dramaturgie de la parole à  travers le chà“ur.

La démarche théâtrale de Gabriel Alvarez est orientée vers un travail où l’acteur est considéré comme le centre de l’acte théâtral. C’est dans cette optique qu’il s’est laissé imprégner par les travaux et les questions clés posées par des maîtres tels que Stanislavski, Meyerhold, Vassiliev, Grotowski, Barba ou autres.”

Publié dans scènes