De retour en Suisse, l’ours brun est une star

© NeilMcIntyre/NHPA/SUTTER/Pro Natura
© NeilMcIntyre/NHPA/SUTTER/Pro Natura

Elu animal de l’année 2009 par l’association Pro Natura, l’ours brun d’Europe – alias Ursus arctos arctos – s’est vu traqué, photographié, dramatisé et médiatisé tout au long de l’année. Une vraie série TV avec du sang, de la mort, de l’angoisse, des superstitions, des enfants de pères inconnus, des mères pas très dignes, un décor alpin qui se moque des frontières. Analysons le scénario, et ses vedettes. Teddy Bear en vrai, de passage dans les Grisons.

Le scénario du grand retour
Après avoir massacré jusqu’aux derniers individus les espèces sauvages qui peuplaient nos contrées européennes et helvétiques, l’Homme fut pris de remords et , pour ceux qui étaient capables de penser au-delà  d’un canon de fusil, décida de ré-introduire sur nos territoires les prédateurs qui avaient été exterminés. Le lynx, le gypaète, le loup et l’ours furent invités.
Deux politiques sont alors mises en oeuvre au centre de l’Europe. En France, Espagne et Italie, on importe et ré-introduit. En Suisse, Autriche et Allemagne, on compte sur les mouvements naturels des espèces ainsi re-localisées. Exemple typique : l’ours brun d’Europe. En général capturés en Slovénie, ces ours sont relâchés dans les Pyrénées, les Abruzzes ou le massif du Trentin dans les Alpes austro-helvético-italiennes. En Suisse, on attend simplement que, tout naturellement, les ours apparaissent. Ce qu’ils font.

L’ours brun d’Europe vit dans l’arc alpin, au centre duquel il habite une aire d’environ 5’000 km2 . A chaque génération, les jeunes mâles doivent se trouver leur propre territoire. A chaque saison, trouver la nourriture adaptée pousse les ours vers des territoires différents selon les besoins. Les ours bruns peuvent parcourir des centaines de kilomètres pour trouver la forêt riche en baies, feuilles, drupes ou noix dont ils ont besoin. Miel et viande ne sont normalement qu’un appoint – en saison. L’ours n’est attiré par la viande qu’en été, que ce soit viande fraîche ou charogne. Mais une faim aigüe pousse au plus facile, à  trouver à  proximité de l’homme : élevages ou poubelles. En automne il prépare son hibernation : substances graisseuses, oléagineuses et sucres lui permettront de capitaliser des réserves pour ses mois d’hiver.
Tout cela est bel et bon, mais ne tient pas compte de l’accueil réservé aux ours. Les chasseurs adorent la perspective de pouvoir s’en tirer un, les éleveurs détestent l’annonce de ce nouveau problème : plus moyen de laisser en été des dizaines de moutons sans surveillance paître à  l’alpage, il faut dépenser en frais de chiens de garde et de bergers ( en plus du loup, voilà  l’ours ). Et les apiculteurs de devoir ceindre leurs ruchers d’une clôture électrifiée – les ours et le miel sont une vieille histoire d’amour.

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© J.P. Hellio + N.VanIngen/ NHPA/SUTTER/Pro Natura

Et en Suisse ?
Le plantigrade fait partie du terroir alpin depuis la nuit des temps. En Suisse, on le retrouve sur des armoiries – le canton de Berne, par exemple – dans des contes et légendes, et à  l’origine de nombreux noms de communes et villages. Chassé et tué, l’ours helvétique disparut complètement, le dernier individu étant abattu en Engadine en 1904 par deux chasseurs. Une dernière observation daterait toutefois de 1923.
Une vision plus globale de nos biotopes et une approche plus protectrice et respectueuse de la nature ont finalement abouti à  des législations fédérales et cantonales qui règlementent la chasse de manière plus stricte et fixe de manière claire les critères à  respecter avant d’autoriser un abattage. A souligner : cette politique est le fruit de nombreuses concertations entre écologistes, chasseurs, scientifiques et fonctionnaires responsables de la conservation. Des experts internationaux ont également été sollicités.
Il en est résulté le ” Plan de gestion de l’ours brun en Suisse ”, publié le 25 juillet 2006 en conformité avec l’article 10 de l’ Ordonnance fédérale sur la chasse. Un texte complété le 8 juillet 2009, car dans le canton des Grisons l’apparition de l’ours brun avait permis les premières expériences concrètes avec l’arrivée, en juillet 2005, du jeune mâle baptisé Lumpaz qui se balladait en Engadine et dans le val Münster avant de repartir. Puis en 2007, deux jeunes mâles arrivent d’Italie et passent l’hiver dans les Grisons.
Il s’agit d’ours d’origine slovène. L’ours n’a jamais disparu des alpes italiennes et slovènes, mais la diminution de leurs populations avait atteint la cote d’alerte. Les autorités italiennes entre 1999 et 2002 ont relâché dans le Trentin , près de la frontière suisse, dix ours sauvages capturés en pleine nature en Slovénie. Depuis lors, la population d’ours augmente à  partir du parc naturel d’Adamo Brenta, et pour un jeune mâle cherchant son nouveau territoire ou pour tout ours en quête de nourriture, les Grisons et le Tessin voisins sont des options attrayantes.

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© ImagePoint/Pro Natura

Jurka et famille
Capturée en Slovénie et relâchée dans le Trentin en 2001, l’ourse Jurka est en fait la mère de tous les ours venus en Suisse. Sa re-capture en Italie avec analyses ADN, les traces ( poils et excréments ) laissées par les nouveaux venus aux Grisons, ont permis d’établir avec certitude une filiation et d’esquisser un portrait de famille, sinon une saga.
Or donc, Jurka la matriarche avait découvert que les habitations humaines recèlent plein de nourriture facile à  se procurer : élevages, ruches, et surtout les poubelles. En bonne mère, elle enseigna le truc des poubelles à  ses rejetons. Une mauvaise bonne idée, comme le montre le destin de ses descendants. Six d’entre eux – deux portées – ont été identifiés et suivis. Ils se sont vus attribuer des noms de code.
Il y a JJ1, alias Bruno, abattu en Allemagne à  Schliersee en juin 2006 en raison de sa propension à  s’approcher des habitations (poubelles et bergeries …) et donc du risque d’accident grave avec des humains. Toutefois, une manif’ de 500 personnes à  Schliersee protesta contre cette éxécution.

JJ2 alias Lumpaz est le premier à  être entré aux Grisons, sans doute chassé du Trentin par un mâle plus âgé qui le priait d’aller s’installer ailleurs. Sa soeur JJ4 vit sa vie dans l’ouest du Trentin. Quant à  MJ4, fille de Jurka mais d’un autre père, elle est aussi venue en Suisse en compagnie de JJ3.
Alors que MJ4 se méfie des humains et ne recherche pas leurs poubelles, son demi-frère JJ3 suit les enseignements de maman Jurka. Trop proche des habitations, il a été considéré comme une menace potentielle, et a donc été abattu en avril 2008 dans la région de Thusis dans les Grisons.
A noter aussi la redoutable paire constituée par JJ3 et MJ4 : on les accuse d’avoir tué dans les Grisons, entre juin 2007 et mars 2008, un total de 60 moutons, 1 chèvre et 1 lama . Bizarrement et comme d’habitude, aucune meute de chiens n’a jamais été suspectée de ces tueries si peu typiques de l’ours brun – sauf en cas de famine aigüe.
Le Plan Ours édicté en Suisse règlemente aussi bien la prévention des dégâts que leur indemnisation et rejette l’idée de la capture pour captivité pour des raisons avant tout éthiques. Un ours ne doit être abattu que lorsqu’il menace l’homme, l’attaque, le blesse ou le tue. Le jeune mâle JJ3 a été considéré comme une menace, et en conséquence abattu. Dura lex ….

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© PRISMA/Peter Lilja/Pro Natura

On peut voisiner
Graduellement, l’ours brun poursuit son chemin d’Est en Ouest, suivant la courbe de l’arc alpin. Et la Suisse est au beau milieu. Le Parc National des Grisons, les vallées et forêts, l’abondance de cours d’eau, offrent aux ours un habitat naturel attractif – en dépit de la colonisation humaine dont s’accommode l’animal.

L’ours de nos Alpes à  l’air d’un bon gros pépère, et c’en est un en général. Il se nourrit principalement de feuilles, de baies, de fruits, et au moment d’accumuler sa graisse d’hiver il adore aller au Tessin où les noix et les châtaignes abondent. Les vergers grisons ne sont pas mal non plus, et en été insectes et charognes complètent l’alimentation ; quitte à  chasser de temps à  autre.
L’ours d’Europe mesure jusqu’à  120 cm à  l’épaule, pour un poids allant jusqu’à  250 kg. Comptez un tiers en moins chez les femelles. En fait, l’ours est du genre craintif et timide, évitant de croiser l’être humain. Le problème est que nos déchets l’attirent, et qu’alors les risques de rencontres fortuites et dramatiques sont multipliés. Mais on a mis au point une poubelle dite ” anti-ours”, et les randonneurs depuis longtemps ne jettent plus leurs restes de pique-nique dans la nature….
En cas de rencontre fortuite avec un ours, que faire ? Simplement, avant de partir, consultez le site de Pro Natura ( www.pronatura.ch) qui donne les conseils essentiels. Au pire du pire si vous êtes attaqués : à  plat ventre et les mains sur la nuque, dites-vous que l’attaque de l’ours n’est qu’une simulation; au pire il viendra vous renifler avant de s’éloigner.
L’ours et nous pouvons donc parfaitement voisiner. Le pacte est simple : pas de provocation mutuelle, et tout ira très bien dans un monde helvétique qui ressemblera un peu plus à  ce qu’il était avant le déferlement des bétonneuses et des tronçonneuses, de la chasse imbécile et de la couche d’ozone.

programme 1908

Premier emblème de la Ligue suisse pour la protection de la nature, LSPN (1908). © Pro Natura

Ours et gastronomie
L’amour passe par l’estomac ? L’amour des ours aussi ? Les cuisinières helvétiques ne dédaignaient peut-être pas de mijoter au début du XXe siècle une pièce d’ours, généralement le jambon, le filet ou les pattes. Un bon truc était de les saler comme le porc, ou les préparer comme le chevreuil ou le sanglier.
La recette qui suit est tirée du manuel ” La cuisine pour 3 ” du Chef W. Hayward, dont la 3e édition est parue à  Lausanne en 1927 à  la Librairie Centrale et Universitaire.

Recette de la patte d’ours à  la russe

Ingrédients : 1 patte d’ours, saumure ( 0,5 litre d’eau, 100 gr. de sel blanc, 25 gr. sel gris, 80 gr. de cassonade, 5gr. de salpêtre, 1 cuillère à  thé de 4-épices ), poivre en grains, genièvre, fenouil, 1 dl. de crème aigre, gelée de groseilles.
Pour la saumure : faites bouillir pendant 10 minutes l’eau, le sel, la cassonade et le salpêtre; ajoutez sur les quatre épices un verre d’eau bouillante et laissez infuser, puis passez l’infusion au chinois étamine, ajoutez à  la saumure et laissez refroidir.
Echaudez la patte d’ours, enlevez les ongles et faites-la mariner pendant trois jours dans la saumure. Lavez-la, faites-la braiser selon le procédé habituel en ajoutant un peu de poivre en grains, fenouil et genièvre; faites cuire environ cinq heures. Quand elle est cuite retirez-la, dégraissez le fond, ajoutez-y la crème aigre, faites donner un bouillon, passez la sauce. Coupez la patte en cinq parties des doigts et dressez-les sur plat long avec la sauce. Servez à  part un peu de gelée de groseilles.

Bon appétit !

Jean-Jacques Kurz

Publié dans nature
Un commentaire pour “De retour en Suisse, l’ours brun est une star
  1. jeanlouis dit :

    Une idée à  priori sympa, mais encore loin du Mercantour en France ? Je ne suis pas sûr de pouvoir respecter le protocole que vous conseillez en cas de rencontre ? L’ours est il réellement aussi inofensif que le loup pour l’être humain ? Attendons d’être reniflés pour le savoir …