Danse avec les morts à vif

 

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Black Cold Burns-®Gregory Batardon NV

 

Intense mise en corps sur du Dylan

Pour Black Cold Burn, le chorégraphe Stijn Celis s’inspire notamment de l’album sorti juste après qu’une maladie pulmonaire ne fût sur le pont de faire passer de vie à trépas un chanteur de blues et de folk mythique. Ainsi Time out of mind (1997) album de la renaissance. Bob Dylan y emprunte une voix sépulcrale, brisée dans ces lacis blues désinvoltes et une atmosphère crépusculaire faite de pas de deux successifs alignant les corps allongés, mouvement de bras serpentant furtivement. Comment mieux évoquer l’univers fortement imagé de l’Américain  en la tissant de porté contrarié, fuites retenues in extremis par la taille t-shirt doucement enlevé avant l’amour par la fille, et porté relâché magnifiquement tournoyé de son corps mi extatique mi ensommeillée rebuffades et envolées aériennes d’un romantisme noir de la plus belle eau. « Dans cet album, la musique complexe de Bob Dylan est en constante évolution: sa voix et son lyrisme invitent à la composition de situations poétiques et physiques qui entrelacent la fiction narrative, la métaphore et la danse abstraite. Sa voix semble provenir de l’abîme de l’univers », souligne le chorégraphe. Qui ajoute avoir souhaité « peindre une certaine communauté de gens, toujours en mouvement. Les danseurs ressemblent à des rock stars, expérimentant sans cesse de nouvelles choses et sont également toujours en mouvement. Bob Dylan est un titan, un poète bordélique. Sa dérision, sa colère et son engagement son viscérales. »

D’un effondrement ralenti sur soi à une position à quatre pattes, les danseurs parcourent pertinemment en mouvements scandés, jetés la palette de l’un des grands inventeurs du rock qui a puisé dans toutes les formes de la musique traditionnelle américaine, le folk, le blues, la country et le gospel pour lui assurer un contenu contestataire, violent et poétique. De même la danse puise-t-elle à ses racines contrastées tout en les revivifiant. En témoigne ce duo sur avec ruades et figures détournées de rock acrobatique sur lequel enchaîne une ronde en choralité, bars levés et écartés avec souplesse. En contrepoint se jouent des portés somnambuliques et un corps fléché étendu face contre terre au sol avant de déboucher sur deux danses en lignes façon Square danse décalée sur Maggie’s Farm. Une chanson emblématique du légendaire auteur compositeur considérée comme son point de rupture avec le mouvement de protestation folk. Son titre est en effet un jeu de mots sur le nom de Silas McGee’s Farm où il interpréta “Only a Pawn in Their Game” (“Juste un pion dans leur jeu”) au fil d’une manifestation en faveur des droits civiques en 1963. Maggie’s Farm peut aussi évoquer un appel à résister avec les armes face aux exploiteurs de tous bords.

On n’a guère vu une symbiose aussi bien menée entre partition chorégraphique jouant des folklores traditionnels du duo et du trio de corps enchâssés et du pas chassé de côté le ton réparti entre désolation blues et le tressautant gospel rock boogie hillbilly de Dylan depuis Public (2004) de Mathilde Monnier. Une pièce inspirée de l’univers de PJ Harvey par une chorégraphe pour laquelle la question du lien, du vivre ensemble, et selon quelles modalités, est aussi centrale.

 

Bertrand Tappolet

Mix 8. Ballet Junior. Jusqu’au 8 décembre 2013. Salle des Eaux-Vives, 81-83 Rue des Eaux-Vives. Rens.: www.limprimerie.ch/bjg/ ; Do us apart d’Andonis Foniadakis ; Largo (2005), chorégraphie de Lucinda Childs ; Stijn Celis signe, lui, deux pièces : The top of my head is not the top of the world (2006) et Black Cold Burn (2012).

 

 

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