Danse avec les morts à vif

 

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Largo-®Gregory Batardon

 

Musicalité de corps souffrants

A l’image du Sacre présenté au Grand Théâtre, Do us apart ne se refuse pas non plus le kitsch fantastique post catastrophe à l’œuvre au gré de Doomsday signé Neil Marshall avec ses zombies peinturlurés d’une bande noire sur le pourtour des yeux. Le primitivisme sacrificiel oppose les groupes martiaux et dénudés qui tournent pour les femmes leurs chevelures étendards communes comme des oriflammes dissimulant souvent leur visage, ce qui renforce l’anonymat. A coup de lumières rouges sublimant l’image corporelle comme revenue des morsures d’une aube de revenants, le chorégraphe cède par instant au pur plaisir du show chorégraphique bodybuildé calibré prime time, là où excellent Pietragella et Oualid.

Corps aux mouvements difformes, disloqués, convulsés, beauté plastique des bustes dénudés coulés dans une simple gaze noire transparente ou des mantilles enserrant les chairs autant qu’elles les révèlent, tout se met ici au diapason d’une humanité tour à tour rescapée et portée-disparue. Andonis Foniadakis invente une langue scénique hachée, concassées, aux anatomies ramassées sur elles-mêmes, musculeuses et pourtant si portées par des êtres flageolant qui peinent parfois à maintenir la station debout. Déglingue solo ou chute collective, l’effondrement, le surrégime et le vertige guettent sur le plateau. La grammaire chorégraphique de l’ensemble délie une frénésie sans réelle butée mais bien tempérée par une construction virevoltante.

Le chorégraphe hellénique s’est pertinemment souvenu de l’identification traditionnelle des morts-vivants avec les SDF, les parias, les êtres stigmatisés confinés aux marges visibles de la société en optant pour la musique de la pianiste et chanteuse américaine Diamanda Galas, auteure d’une œuvre viscérale, organique dont Do us apart tire le meilleur afin de déployer ses cris, chants et inflexions de voix. Galás prend la défense dans les années 1980 de la communauté homosexuelle, et attire l’attention dès 1979 sur la torture et les génocides. On retrouve au centre de l’opus de Foniadakis la rage révélée comme dans un cérémonial sacrificiel visant à ébranler les criminels de guerre qui se soustraient trop souvent à la justice cher à l’Américaine. Soprano classique, cette Californienne d’origine grecque s’est affirmée dans le rock alternatif tout en se réclamant à la fois du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud et de Iannis Xenakis, compositeur grec dont les partitions programmées par ordinateur et dont les hauteurs, durées, densités et vitesses de glissement des notes constituent autant de variables aléatoires.

Ainsi Diamanda Galas mêle Baudelaire, Nerval et Corbière  à toutes sortes de litanies sataniques ou non, cris modulés et bruits électroniques ou rauques. Celle qui a déclamé des passages de l’Ancien Testament (Le Lévitique) se réclame de l’école expressionniste allemande et de la théorie du schrei (« le cri ») qu’illustre abondamment Do us apart. L’esprit de cette artiste très engagée surnommée “la diva des dépossédés” plane de manière décalée et un brin cabaret sur Do us apart dont les liens formels avec le Théâtre de l’opprimé du Brésilien Augusto Boal et le New Burlesque tendance Queer Show, bien que ténus, semblent réels.

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