Claude Hermann, peintre et poète dans la marge de l’art contemporain

pièce

Claude Hermann. Un combat spatial au XVIe siècle (Détail) 2010. Technique mixte, dessin, collage, cornes et boite en plexiglas. Courtesy Art & Public, Genève. (voir l’oeuvre)

Il y a chez Claude Hermann une sincérité, une liberté d’expres­sion tellement indépendante des critères artistiques, et même esthétiques, qu’en res­sortent des choses nouvelles et belles. Pierre Huber, le charismatique galeriste et marchand de la rue des bains lui consacre une exposition intimiste et poétique.

L’artiste ne tient pas vraiment à  se situer dans un quelconque mouvement de la scène contemporaine et ne se sent pas concerné par les problèmes de la manière dont ils sont posés dans l’art con­temporain. Claude Hermann propose une réflexion sur les actes simples de la vie normale, la sienne, d’une manière honnête, sincère, parfois anecdotique mais profondément liée au temps. L’à“uvre en général ne supporte pas la description tant l’éventail est vaste, mais on ne peut regarder ces petits formats sans discerner l’incroyable impression de tendresse qui s’en dégage, le poète est omniprésent dans “Robinson Crusoé” ou” Suzanne et les vieillards“. Les oeuvres se succèdent, le poète rêve toujours un peu plus, mais, malgré une intimité qui se dévoile parfois, son monde reste des plus secrets.

Peu lui importe que le gigantisme soit tant prisé, Claude Hermann propose l’intimité, le contact personnel et rapproché par un retour à  la miniature. Petits formats, clins d’oeil, ironie, humour, mais surtout rêves et jeux dans une démarche plus proche de la liberté du poète que de la mise en scène.

oeuvre: suzanne

Susanne et les vieillards“, 2010, technique mixte, dessin, collage. Cliquer sur l’image pour voir l’oeuvre dans son entier.

Dans l’ouvrage que Jean-Luc Daval a consacré à  celui qui fut un temps son élève, l’ancien directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Genève relève que Claude Hermann “oppose aux modes de l’abstraction de la figuration libre, de l’expressionnisme et des installations, la discipline de “l’imagier”, la rigueur et la préciosité de l’enlumineur. Il développe son monde en profondeur et fixe le spectateur.”

Pierre Huber fut immédiatement impressionné par la pesonnalité de l’artiste : “J’ai  rencontré Claude Hermann la première fois dans les années 70 à  Evires, un hameau situé derrière le Salève.
Je fus tout de suite fasciné par le personnage et ses dessins. Aujourd’hui encore après plus de 40 années de travail de galeriste, de visites d’ateliers ,de rencontres d’artistes à  travers le monde entier, je n’oublierai  jamais ce spectacle unique.
Cette expérience m’a marqué et impressionné. Après les politesses d’usage j’ai enfin pu pénétrer dans son atelier, une chambre toute sombre, une petite table de travail devant une fenêtre occultée par des rideaux noirs. Tous les objets dans la pièce choisis avec un goût délicat dont on pouvait deviner l’attachement à  la France profonde : une collection de vieilles plumes prêtes à  être utilisées pour dessiner, une vieille montre sur une table, et un petit carnet qui lui permettait de noter les heures de travail qu’il passait sur son dernier dessin en cours…  j’ai essayé d’entrouvrir le rideau noir qui obscurcissait la pièce, et un cri s’échappa de sa bouche pour me supplier de refermer ce rideau derrière lequel je découvris subrepticement un des plus beaux spectacles du monde : des chevaux en liberté dans un environnement bucolique de verdure printanière et fleurie.
Le travail de Claude m’a immédiatement fasciné car il ne triche pas. Il aime son art et l’exprime sans compromis, il vit dans son monde et ne se préoccupe pas du reste. Il est dans la lignée des plus grands et dont le champ de création est la marge, leur marge, et c’est ce qui fait leur talent. Il ne fait pas de concessions, ne connaît pas la société de consommation, « il aime le rugby »â€¦”

 

pièce, montre à  gousset

Robinson Crusoé“, 2010, technique mixte, dessin, collage et montre de gousset. 33 x 33 x 6 cm.

Aucune analyse ne saurait rendre compte du tourbillon inventif, de la chorégraphie des rêves, des pitreries de l’imagination, de la confidence, du secret, du manque total de sérieux avec lequel il apprivoise pourtant les sujets les plus graves. Le seul discours véritablement pertinent consisterait à  énoncer l’irréductibilité d’une telle oeuvre à  tout discours. Il faut faire le tour des galeries du quartier des Bains pour voir que les racines de plusieurs vedettes actuelles plongent dans l’oeuvre d’Hermann. La scène actuelle vit dans un milieu clos et nous assistons à  une surenchère tout en restant dans le même système de pensée;  ce surenchérissement sur des concepts dépassés est à  l’opposé de la démarche d’un Claude Hermann réfractaire à  toute médiatisation et qui tient à  rester dans la marge de l’art contemporain.

Jacques Magnol

 

Claude Hermann
La Voie lactée. La Lune et autres contes
.
Galerie Art & Public. Genève. 15 avril au 1er mai 2010.

Claude Hermann est né en 1948 et il a présenté sa première exposition en 1966.

 

 

 

Un soir d’hiver avec Pierre Huber et Claude Hermann

 

photo P Huber et Claude Hermann

Claude Hermann et Pierre Huber

 

Au coin du feu. Il neige. L’atmosphère est à  la mélancolie.

PH : Une question me taraude l’esprit depuis 30 ans : que faisais-tu en pyjama, devant la gare de Cornavin lorsque je te vis pour la dernière fois

CL : J’étais allé vendre des cannes à  pêche à  Vladivostok. Dans le train au retour, j’ai pris un somnifère avant le lac Baïkal (je suis insomniaque). Mes affaires avaient disparu entre Irkoutsk et Genève. J’avais seulement mes papiers et mon billet de train planqués dans mon slip.

 PH. Bien et depuis, quoi de neuf ?

CL. J’ai monté des affaires, collectionné les ennuis et les disputes.

PH. Et l’art dans tout cela ?

CL. A vrai dire, j’ai de la peine avec ce milieu, j’aurais préféré être respecté pour mon sens du commerce et être un bon père de famille, placer un bel essai entre les poteaux anglais. Le Rugby est un art majeur.

PH. Qu’as-tu fait en dehors du dessin ?

CL. J’ai tenté l’élevage de rats de laboratoire, mais j’avais négligé mon côté sentimental. Je fus vite débordé par des hordes de rongeurs. Je leur abandonnai ma maison. Quelques années phis tard je me lançai dans le lapin. Mais le cours de ces animaux s’effondra, je stockai trop en attendant des jours meilleurs. La vie devint infernale: je les lâchai dans la campagne où ils semèrent la terreur. Mes entreprises non seulement confirmaient ma médiocrité mais me faisaient négliger aussi ma famille.

PH. Et l’art dans tout cela ?

CH : Hélas. Je laisse cela aux amateurs. Il y a trop d’artistes: clowns, funambules, cracheurs de feu, photographes de nu, danseurs dévêtus ou hip-hop, tagueurs, artistes culinaires, gens de théâtre, illustrateurs. Désormais chaque bled a sa Maison de la Culture.
Disneyland contraste avec le vide des musées. Une fusée filant vers la lune, une bombe atomique, me semblent plus dignes d’intérêt que toutes ces agitations artistiques.

PH. Tu es désabusé ? tu persistes à  dessiner malgré tout…

CH : Oui. Une fois terminé, mon travail m’échappe. Je suis dévoré par le doute. Parfois je ressens un petit moment de bonheur car j’ai réussi l’expression d’un regard, un petit motif, c’est bien peu de chose. Je suis toujours étonné et honoré qu’on puisse reconnaître mon travail.

PH : N’ y a t-il pas de la rancoeur ou de la jalousie, d’amertume envers ceux qui ont réussi ?

CH : Tout me semble dérisoire et ridicule, je suis sans désir, j’aimerais mériter le port de la barbe et arborer une robe de bure. Heureux ceux qui ont la foi. Cette époque me déprime, pas un jour de repos. A chaque jour sa fête. On n’a plus le droit à  l’ennui. Enfant je passais des journées à  m’emmerder, à  imaginer la dérive des continents sur mon petit globe terrestre à  rêver de
l’Empire français en rose sur les cartes scolaires. Il n’y a plus de rêve, les artistes sont des menteurs.

PH : En somme tu es plutôt sinistre, d’ailleurs il me semble que tu te suicides souvent !

CL : Mes suicides sont de vrais désastres. Si je n’étais pas tant préoccupé par mon aspect post-mortem, j’aurais eu recours à  des procédés moins sophistiqués et plus efficaces. Je suis une catastrophe en tout.

PH : Les amis disparaissent un jour et après leur départ, on s’aperçoit que l’on ne savait pratiquement rien d’eux.

CL : C’est vrai, à  quoi bon vouloir tout enregistrer, photographier. Ainsi Gislebertus est le seul sculpteur de l’époque romane dont on a retenu le nom. Il n’est peut-être pas pour autant le meilleur artiste de son temps. Et puis quel besoin de passer à  la télévision ?
J’y songe, j’y suis passé un jour…

PH : Ah, tiens ?

CL : En 1966 à  Genève aux Pâquis, une manifestation d’espagnols. Un des types en tête du cortège souhaitant se moucher me passa la hampe de sa banderole. Mes parents me virent ainsi aux actualités en tête de la foule, brandissant « A MORT FRANCO ».

PH : Tu es plutôt cynique …

CH : Non je n’ai plus d’illusions. Il arrive qu’au fond d’un musée de province, chez un brocanteur, une croûte sans intérêt me remplisse d’émotion.

PH : C’est un peu limite comme cours d’histoire de l’art.

CL : Oui, mais pour en finir je ne suis pas fréquentable, je dois simplement vendre mon travail pour vivre. Quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, on en revient toujours à  ce problème : sans argent, point de bonheur. Il y aura toujours quelqu’un qui te fera payer le droit de respirer ou de boire un verre d’eau.

C’était un petit moment sans intérêt, nous nous servons un bon whisky et déposons une bûche dans la cheminée…
Bonsoir cher Pierre, bonsoir cher Claude …

Propos recueillis par Françoise Sunier

Publié dans arts, expositions
Un commentaire pour “Claude Hermann, peintre et poète dans la marge de l’art contemporain
  1. Gavard-Perret dit :

    Claude Hermann est un artiste rarissime. Hors de temps et hors du monde il est en plein dedans. Son oeuvre merite(rait) une plus grande diffusion.