Bains de foule, voix de houle et corps de diva sororale pour Lana Del Rey

Née pour mourir

« Du début jusqu’à la fin, J’ai adoré », glisse à sa mère complice une ado à la chevelure sagement peroxydée, arborant sous de grosses lunettes, un sourire barré du métal d’un appareil dentaire, en faisant une copie conforme de l’héroïne de la série culte, Ugly Betty. Lana Del Ray a la douceur de tous les matins du monde et des premières fois, comme cette pluie estivale douchant les champs ou ce baiser mouillé posé sur l’être aimé. Mais aussi la gravité compassionnelle, la lumineuse gentillesse de l’infirmière qui accompagne toute fin de vie de sa patience rarement prise en défaut.

Born to die (Né-e pour mourir), chante-t-elle. Le clip la voit avec un jeune homme au vêtement incarné, le corps tatoué ressemblant étrangement à Vincent Gallo dans The Brown Bunny. S’affichent ainsi des torses dénudés de trois quart de face dignes d’une pub pour jeans, alors qu’en muraille tapisserie une immense bannière étoilée flotte. L’image héraldique peut être citée par les vétérans des Guerres d’Irak et d’Afghanistan comme un hymne pacifiste. Ou par la droite ultra patriote et va-t-en-guerre. L’ambiguïté flotte souvent au cœur des représentations en vidéos clips de ses titres (Blue Jeans, Summertime Sadness, Video Games). Elles distillent une douceur qui n’est pas sans arrière-cour malaisante. Ne rend-elle pas hommage à Springsteen dont le titre culte, Born in the Usa, dédié à son frère mort à Khe Sanh lors du conflit vietnamien ? Sur scène, toute de blanc vêtue, la chanteuse arbore des ongles colorés en rouge et bleu. Comme drapeau d’un pays reproduite à même le corps, on a rarement vu plus prégnant. Visuellement, l’Amérique populaire des années 60 occupe une part importante de l’univers de l’artiste. Tout comme son attrait pour les contre cultures qui ont aujourd’hui beaucoup perdus de leur pouvoir de contestation. Que l’on songe aux bikers plus proches d’Easy Rider que de la série tv Sons of Anarchy (Ride) ou aux rappeurs dont certains fortunés, tels Jay Z et Kanye West (National Anthem). Mais est-il paradoxal de se réclamer de Jim Morrison, voire de pans entiers de la contre-culture et chanter pour une marque de voiture et des lignes de vêtements ?

« Ma chance, c’est d’avoir découvert la philosophie à l’école, à 14 ans – un cours en option, qui a constitué ma première véritable passion, qui m’a menée à des études de métaphysique », déclare la chanteuse en novembre 2012 au magazine Les Inrockuptibles. Elle affirme aussi lors de ce même entretien, n’avoir « jamais cessé de lire des auteurs comme Nabokov ou Ginsberg, les premiers qui m’ont donné l’impression de peindre de vastes images avec des mots. J’adorais l’idée de mouvements littéraires, qu’il puisse, comme avec Sartre et Camus, exister des communautés d’esprits. » Tout le corps à corps de l’homme avec sa propre condition de mortel, définissant notre humanité commune, ne se love-t-il pas dans cette essentielle et socratique formule, Born to die ? Cet autodidacte dans le chant qu’est Lana Del Ray a bien étudié la philosophie à l’Université Fordham de New York et ses textes portent souvent la marque d’interrogations philosophiques présentées sous un jour inhabituel, comme une cime familière que chacun peut connaître dans sa vie de tous les jours et que la jeune femme surprend sous un angle inusité. Si néanmoins tout cela n’est qu’illusion marketing, transfert de fantasmes, représentations et projections intimes ou artefact youtubesque ayant fait un buzz controversé sur la toile ouvrant sur toutes les parodies et stigmatisations, Lana Del Ray est l’un des plus sidérants mensonges qu’il ait été donné de voir infuser en scène.

Bertrand Tappolet

www.lanadelray.com

Titres de l’artiste : http://www.youtube.com/watch?v=nVjsGKrE6E8&list=RD02tiWouPYHHq8

 

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