Anna Odell : l’art pour investiguer la vie en société

 

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« The Reunion » de et avec Anna Odell: © Jonas Jörneberg

 

La vérité comme une arme

Pour ces investigations journalistiques, l’Allemand Günter Wallraff adopta à chaque fois une identité fictive et n’était donc pas reconnaissable comme journaliste. Il écrivit ainsi des livres dénonçant certaines situations sociales et essayant d’apporter un nouveau regard sur le fonctionnement de la société, dont son best-seller Tête de turc (1986), hallucinant périple dans la peau d’un immigré. Les méthodes de Günter Wallraff ont néanmoins toujours été considérées comme conformes aux lois par les juges. Dans un cas d’enquête journalistique avec la personne sous couverture et fausse identité d’emprunt, cela ne génère pas de condamnation en justice. Au contraire, pour une artiste qui n’a jamais caché sa propre identité ni ses intentions, Anna Odell est condamnée à une amende pour une partie de sa démarche artistique et critique dans Unknown woman 2009– 34970.  L’œuvre a néanmoins permis l’ouverture d’un dialogue avec l’institution psychiatrique suédoise. Elle offre la possibilité au spectateur de prendre part à cette mise en scène, au processus qui l’a précédée, et qui l’a suivie. La démarche de la jeune femme, qui se confronte aux structures de pouvoir et à la puissance quasi impérialiste du système psychiatrique suédois ou aux hiérarchies en milieu scolaire, est autrement plus dérangeante et interrogative aujourd’hui qu’une approche d’investigation journalistique classique.

Enfin, le film La Réunion se place dans le sillage de Festen dû à Thomas Vinterberg. Soit une mise en cause agressive des conventions sociales et du mensonge familial sur fond de rapports hiérarchiques qui peut ramener aux Scènes de la vie conjugale de Bergman. Les choix de filmage du Dogme 95 – images vidéo basse définition, caméra pseudo amateur portée, longs plans séquences – ne sont néanmoins pas retenus par la cinéaste. Le film dévoile ainsi des plans souvent fixes et un montage alterné. Des effets de contamination entre réel et fiction sont néanmoins ici bien présents. Au cœur de l’intense et éperdu regard bleu glacé comme un fjord d’Anna Odell dans son propre rôle, il y a une personne qui voit plus loin que les apparences. On peut aussi y lire une incertaine folie qu’accompagnent rage, détresse, impuissance et surtout intense désir de comprendre. Ce qu’écrit enfin Bertolt Brecht au fil de son ouvrage Cinq difficultés dans l’écriture de la vérité (1935) reste particulièrement pertinent pour une grande part du travail d’Anna Odell  : « Qui veut combattre aujourd’hui le mensonge et l’ignorance, qui veut écrire la vérité, doit surmonter au moins cinq difficultés. Il doit avoir le courage d’écrire la vérité bien que celle-ci soit réprimée de toutes parts ; l’intelligence de la reconnaître, bien qu’elle soit dissimulée de toutes parts ; l’art de la rendre maniable comme une arme ; le jugement lui permettant de choisir ceux dans les mains desquelles elle sera efficace ; la ruse pour la diffuser parmi ceux-là. Ces difficultés existent… également dans les pays où prévaut la liberté bourgeoise. »

 

Bertrand Tappolet

The Reunion (La Réunion). Vendredi 1er novembre. Salle Simon, Grütli 19h15. Lundi 4 novembre. Salle Langlois, 22h. Rens. : www.tous-ecrans.com

 

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