Andaman, les îles où les tribus doivent disparaître pour céder la place aux colons et aux touristes

côte

Le 30 décembre 2010, au nord du Golfe du Bengale, sur l’île principale de l’Archipel des Andaman, les autorités ont inauguré un service d’hydravion-taxi qui permettra de relier confortablement l’île principale aux autres plus éloignées. Les Andamanais vivent dans l’archipel  depuis 60’000 ans, il n’aura fallu qu’un siècle et demi de « civilisation » occidentale pour réduire leur présence pratiquement à néant.

carte andaman

 

Nos désirs d’images d’aventure ne laissent aucune chance aux dernières tribus présentes

L’ouverture d’un nouveau service de communication est le dernier coup, probablement fatal, porté aux survivants des dernières tribus installées sur les Îles des Andaman et de Nicobar depuis la Préhistoire, chacune d’elles ayant toujours refusé le contact avec l’extérieur. Grâce à  leur réputation d’anthropophages, chose qui leur colle au pagne depuis Ptolémée, et aux nuées de flèches avec lesquelles elles accueillent les intrus, ces communautés ont toujours réussi à les repousser.
Au début des années 90, le gouvernement central s’est engagé dans une opération visant à  reproduire le succès touristique des Maldives avec un archipel d’îles dont les rivages sont couverts du mythique sable blanc. Depuis cette date, les îles du Nord ne sont plus interdites aux étrangers et les conséquences sont destructrices pour les zones d’habitat de ces populations primitives. L’entreprise n’est pas terminée, il reste à  éradiquer faune, flore et derniers survivants des tribus primitives, avant de planter les palmiers traditionnels. Alors, le Tartarin européen pourra étaler sur le sable blanc sa serviette ornée de dauphins ou de tortues.

Désormais, à  Andaman les impératifs du tourisme de masse obligent à  passer la vitesse supérieure : routes tracées au milieu des territoires de chasse, complexes hôteliers construits aux abords des réserves dans lesquelles sont parqués les survivants, installation massive de colons venus du continent indien. Les dernières tribus n’ont plus aucune chance face à  nos désirs de sensations d’aventure inoculées à  coup de désastres écologiques provoqués par le tournage des émissions de télévision style Thalassa, Hulot & cie, et les reportages de magazines géotouristiques.
Historiquement, les prédateurs de ces tribus sont nombreux, d’abord militaires (britanniques), puis ethnologues et missionnaires, trafiquants d’esclaves, contrebandiers (généralement des militaires birmans dit-on à Port-Blair) des bois précieux, l’ébène et le padauk (un bois plus dur que le teck), et, récemment, les touristes amateurs de safaris humains. En 1996, ce sont les services spéciaux français à  bord de leur bateau “La Boudeuse” qui furent surpris par l’armée indienne en flagrant délit d’accostage sur ces îles protégées.

Le processus de destruction de communautés millénaires est identique à des expéditions similaires qui ont ravagé d’autres continents : lors d’une conférence mémorable au MEG à  Genève, le célèbre ethnologue Jean Malaurie a décrit les stratégies de conquête utilisées, comment sont inculquées la fascination pour l’argent et la compétition chez les Esquimaux tout en les noyant dans l’alcool. Le tort des Esquimaux, des Andamanais, des Pygmées du Cameroun et bien d’autres, est “de ne pas vouloir de notre société”. Mais qu’importe, pour les Occidentaux “ces communautés sont appelées à  disparaître”.
Ecouter les propos de Jean Malaurie recueillis par Jacques Magnol.

Un processus identique est appliqué en Afrique : Dans le film de François-Philippe Gallois, “Pygmées Bagyéli à la lisière du monde” (FIFDH Paris 2010), le réalisateur  montre que dans les tuyaux du pétrole se sont engouffrés sournoisement le SIDA et l’alcoolisme.  « Avant on était pauvre mais on ne le savait pas car on vivait heureux dans la forêt ». En découvrant le monde moderne, les Pygmées Bagyéli ont réalisé qu’ils n’y avaient pas de place. Leur culture de chasseurs, qui leur a permis pendant des milliers d’années de subsister dans la jungle du Cameroun, fait qu’à  l’extérieur ils sont traités comme des animaux ou des esclaves par la société dominante des agriculteurs.

Jarawa

Jarawa. © Survival.

À Andaman, seuls quatre groupes de populations indigènes survivent :

  • Les Grands Andamanais, qui ne seraient que quelques dizaines (52 selon Survival).
  • Les Sentinelles, estimées à  moins de cent.
  • Les Onges, estimés à  quelques dizaines.
  • Les Jarawas, menacés depuis la construction de la route qui relie le Sud au Nord, ils seraient moins de 200.

rue de Port Blair

Safaris humains

En février 2010, l’ONG Survival International a annoncé l’achèvement de l’extermination de la tribu andamanaise Bo après la disparition de son dernier représentant le 4 février. Stephen Corry, directeur de Survival International, déclarait alors : « Les Grands Andamanais ont tout d’abord été massacrés puis ils ont été détruits par des politiques paternalistes qui les ont exposés à  de terribles épidémies, les ont spoliés de leurs terres et privés de leur indépendance. Les Grands Andamanais, qui ne sont plus que 52 aujourd’hui étaient, à  l’origine, divisés en dix tribus distinctes, ils représentaient une population de 5’000 personnes avant la colonisation britannique des îles en 1858. On considère que les Bo, qui vivaient dans les îles Andaman depuis 65’000 ans, étaient les descendants de l’une des plus anciennes cultures humaines de la planète. La disparition de Boa est le triste rappel que nous ne devons pas permettre que cela arrive aux autres tribus des îles Andaman».

La tribu voisine des Jarawa, n’a pas encore été totalement décimée mais les autorités locales ne les protègeraient pas, bien au contraire. En dépit de nombreux appels d’organisations internationales dont l’Unesco, de décisions de la Cour suprême indienne, de la presse internationale, pour protéger les tribus andamanes, le gouvernement indien n’a pas l’intention d’entraver le génocide. C’est là, au milieu de la tribu Jarawa, que plusieurs compagnies de voyagistes organisent des circuits touristiques qui attirent des touristes non encadrés au sein de cette culture déjà  très menacée.

andamana crocodile

Dévoré par un crocodile : « A lifetime holiday experience »

attention crocos

 

 

 

 

 

 

 

La comparaison avec l’univers aseptisé sinon stérilisé des Maldives s’arrête au sable blanc. Aux Îles Andaman, une étroite bande de sable jonchée d’imposantes souches d’arbres sépare la mer de la jungle. Dans cette épaisse forêt, moustiques, scolopendres venimeux, crotales, pythons et autres foisonnent. En mer, des crocodiles de 3,5 à 6 mètres de long vivent dans la mangrove, ils sont rares mais manquent du tact élémentaire pour avertir de leur présence. Diverses races de serpents venimeux aquatiques

La comparaison avec l’univers aseptisé sinon stérilisé des Maldives s’arrête au sable blanc. Aux Îles Andaman, une étroite bande de sable jonchée d’imposantes souches d’arbres sépare la mer de la jungle. Dans cette épaisse forêt, moustiques, scolopendres venimeux, crotales, pythons et autres foisonnent. En mer, des crocodiles de 3,5 à 6 mètres de long vivent dans la mangrove. Diverses races de serpents venimeux aquatiques voisinent avec les crocodiles. On apprendra au Parc des serpents de Calcutta que ces races marines peuvent être jusqu’à  quarante fois plus venimeuses que les races terrestres les plus venimeuses. Pour parfaire le sentiment d’aventure, de violents courants croisés sévissent dans les détroits entre les îles ce qui n’incite pas à  l’island hopping si doux aux Maldives. On comprend pourquoi le Club Méditerranée, invité vers la fin des années 90 à  ouvrir un centre sur une île, aura préféré renoncer.

Au cours du printemps 2010, un de ces sauriens a tué une jeune touriste étatsunienne, depuis, les autorités redoutent qu’une attaque de crocodile mette à mal le slogan des agents du tourisme qui promettent « a lifetime holiday experience » selon le slogan des îles.

cinque island

Tourisme durable et solidaire

Si la formule du tourisme durable et solidaire fleurit dans la majeure partie des catalogues, l’Inde a choisi de jouer la carte du tourisme de masse sans aucune considération de protection de l’environnement et encore moins du respect des populations autochtones. Sinon comment interpréter les safaris humains que des tour-opérateurs aux noms évocateurs “Crocs Adventures” “Rhino Jungle Adventure” et autres chasseurs d’horizons extrêmes organisent jusque dans les réserves des tribus “protégées”? La pratique vaut aussi pour le voyeurisme dans les tribus du nord de l’Orissa, comme en propose un voyagiste genevois.
La ruine d’Andaman tient à  son accès trop facile avec Air India : Zurich- Madras (ou Calcutta), puis Madras-Port Blair. De Port-Blair jusqu’à  la limite d’une réserve Jarawa ce ne sont que deux ou trois heures de taxi pour l’ethnologue ou le touriste en quête d’aventure.

Jacques Magnol – Voyage aux Îles Andaman.

Géographie: Les îles d’Andaman et de Nicobar, à  1255 km de Calcutta, et près de 800 km des côtes birmanes, représentent un archipel de plus de 570 îles dont près de 40 sont habitées en permanence. Le gouvernement indien a pour l’heure gelé l’idée d’y créer une zone franche pour concurrencer Singapour. L’Inde entretient également dans cette région d’importantes bases militaires.

Mise à  jour. Le 3 janvier 2011, le parti Trinamool, deuxième courant en importance de l’actuelle coalition au pouvoir a demandé l’abrogation de la zone tampon autour des réserves des tribus aborigènes ainsi que la levée des mesures de protection visant à  interdire la construction de centres touristiques importants, lodges et autres. Le parti est appuyé par les colons installés dans des zones sujettes aux catastrophes naturelles, dont les terres ont été dévastées par le tsunami de 2004, qui considèrent les territoires aborigènes comme des obstacles à  leur développement. Après avoir encouragé massivement l’immigration de ces colons, le gouvernement indien se trouve confronté aujourd’hui aux conséquences de son encouragement à  l’immigration massive de colons principalement en provenance des trois états états de Bengal Ouest, Meghalaya et Arunachal Pradesh. Dans l’autoproclamée plus grande démocratie du monde, le sort promis aux aborigènes n’est autre que celui subi par les Indiens d’Amérique du Nord.

Pour en savoir plus:

– Pour écrire une lettre en soutien aux Jarawa sur le site de l’ONG Survival.
Comment les tribus ont pressenti le tsunami de 2004 et s’en sont protégées à  l’inverse des colons.
The Andaman Chronicle.
– Les Jarawas, sur le site de Survival.
– Ethnography briefing: the Andaman Islanders.
– Voir sur YouTube l’inauguration du service d’hydravion le 30 décembre 2010.

Publié dans patrimoine, société