La Confédération se mobilise au chevet des abeilles

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L’abeille à  longues antennes est l’Animal de l’année 2010. © Pro Natura / Nicolas J. Vereecken.

Abeilles domestiques : elles butinent, meurent et nous bientôt avec …
Résumer le rôle de l’abeille en celui d’une simple faiseuse de miel est tristement réducteur. Dans le monde, 84% des plantes à  fleurs se reproduisent grce à  la pollinisation par les insectes qui butinent. Ce sont donc 35% de la production mondiale de fruits et légumes qui dépend des insectes.  Le plus actif de ces insectes est l’abeille domestique,  Apis mellifera, qui est à  elle seule capable de multiplier par 7  le rendement d’une culture.  Or, depuis le début de ce XXIe siècle, les colonies d’abeilles sont victimes d’une hécatombe et tant les scientifiques que les apiculteurs pataugent sans pouvoir désigner un ou des coupables avérés ni défendre leurs ruches.

Les  amandes  de  Californie

La production d’amandes en Californie a supplanté en volume financier les traditionnelles cultures d’agrumes et de raisin. Des milliers d’hectares ont été plantés d’amandiers, qu’il s’agit de fertiliser lors de la floraison.  Le truc ?  Louer des colonies d’abeilles à  des pros de ce circuit particulier qui voyagent à  travers les USA selon la demande avec leurs ruches chargées sur un semi-remorque. Des déplacements de parfois 1’500 km, en 48 heures non-stop, pour des abeilles complètement stressées.    A l’arrivée, les ruches sont réparties dans les vergers, et au boulot les filles !  Elles n’ont à  butiner QUE des fleurs d’amandier, alors qu’il leur faut un régime de pollens diversifiés; les apiculteurs sont donc contraints de leur fournir … des compléments alimentaires sous forme de tablettes déposées dans les ruches.

En 2006 il y avait aux USA  1’500 apiculteurs professionnels  qui possédaient et exploitaient  2,4 millions de ruches. Mais l’hécatombe identifiée comme telle en 2002  seulement continue :  32% de pertes en 2007,  36% en 2008,  probablement 29%  en 2009 .  Alors que le taux de mortalité habituel à  cause des rigueurs de l’hiver oscille entre  8 et 10% .

Loi du marché :  pour les producteurs d’amandes californiens, la location  d’abeilles est passée  en 2004 de 45 $ à  125 $, puis en 2006 à  260 $ .  Y’a presque plus d’abeilles, mon pauv’monsieur …  Et comme y’a pas de ruche sans reine et qu’une seule reine ( en production industrielle ) coûte 20 $,  ça paie plus rien.

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L’abeille à  longues antennes est l’Animal de l’année 2010. © Pro Natura / Nicolas J. Vereecken.  Le parfum et la forme de l’ophrys bourdon attirent l’abeille à  longues antennes.

Un phénomène mondial

La catastrophe enregistrée aux USA touche en fait tous les pays où l’abeille domestique est utilisée comme esclave à  polliniser.  Un programme international baptisé ALARM et réunissant  les scientifiques, apiculteurs et producteurs agricoles de 35 pays a commencé par un inventaire du désastre, et chercher à   identifier les causes du  ” Colony Collapse Disorder ”  alias CCD.  Hélà s, rien de convaincant, ni de probant, ni qui soit scientifiquement avéré.  On patauge ….

Toutefois certains faits,  à  défaut d’expliquer,  peuvent donner des idées et dresser un tableau où encore une fois les tripatouillages reproductifs au nom du rendement financier tournent mal.

Il se trouve que l’abeille domestique n’appartient qu’à  une seule espèce :  Apis mellifera.  Depuis longtemps, tant les apiculteurs professionnels que les amateurs passionnés ont fait commerce ou se sont échangé des reines : ce sont elles qui sont au centre de l’essaim et assurent sa pérennité en pondant  ( sauf en hiver )  de 2’500 à  3’000 oeufs par jour, tous fécondés. Une reine en moyenne vit 2 ans, une ouvrière de 4 à  5 semaines.  Or, il y a jusqu’à   50’000 ouvrières – stériles – par ruche .

Dès lors on comprend que pour reconstituer des essaims, il soit possible d’acheter des reines en Australie et en Asie pour les faire venir en Europe et en Amérique.  On comprend aussi que virus et parasites souvent mortels vont profiter du voyage.  Exemple : le  Varoa, un acarien venu d’Indonésie et qui se fixe sur l’abeille dès le stade larvaire et la vide peu à  peu tout en lui instillant des toxines. Or,  les abeilles d’Europe et d’Amérique sont incapables de produire les enzymes nécessaires à  la détoxication. Le Varoa a donc ravagé le peuple des ruches, mais on n’a pas encore trouvé de produit chimique qui soit vraiment moins dommageable que le mal tout en étant efficace.

Et tiens donc, la chimie rayon agro-alimentaire.  Les pesticides comme un tapis de bombes qui n’épargne personne. De nouvelles armes fongicides et pesticides sont apparues, comme ces dérivés de la nicotine, qu’on ne vaporise plus à  tout-va mais dont on enrobe les semences.  Chic et écolo.  En fait on retrouve ces composés jusque dans le pollen  :  à  doses infimes et inoffensives dit l’industrie chimique, à  doses hautement nuisibles quand ajoutées aux autres contaminations disent les entomologistes. Après 2 ans de querelles, finalemnt les insecticides Gaucho et Régent ont été interdits en France.

Un aspect semble négligé : celui de la faiblesse génétique des abeilles domestiques.  Environ 20’000 espèces d’abeilles ont été recensées sur notre planète, mais une seule est domestique et donc élevée et utilisée par l’homme. Cette mono-culture aboutit forcément à  une perte de la diversité génétique  et des capacités de réactions de l’espèce face aux maladies. Incapacité à  produire les enzymes nécessaires à  limiter une intoxication.

En Europe comme aux USA, les abeilles sont utilisées comme des esclaves à  polliniser.  En n’ayant à  butiner QUE des amandiers, QUE des fraisiers,  QUE des orangers, etc.. pendant des périodes qui sont pour elles extrêmement longues, elles souffrent de malnutrition en raison du manque de diversité florale.

Qui plus est, les abeilles sont aussi menacées par un carnivore –  Vespa velutina .  Arrivé d’Asie en 2004 , caché dans des pots en terre cuite, ce frelon se poste devant les ruches où il attaque et dévore les abeilles. S’il parvient à  pénétrer dans la ruche, c’est le carnage : il mange miel, abeilles et larves. En France, dans plusieurs départements il a détruit jusqu’à  70 % des ruches. Attention :  ce carnivore vient d’être signalé aux portes de la Suisse.  De plus, son venin est puissant :  un homme en est mort en France en 2008.

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© Pro Natura / Nicolas J. Vereecken.

Abeilles helvétiques

Bien qu’il ne soit pas aisé d’avoir une vue d’ensemble dans un système aussi décentralisé que la Confédération,  il est certain que les colonies d’abeilles domestiques ne vont pas bien du tout et que le mal – quel qu’il soit – empire.  Les statistiques de l’Office Vétérinaire Fédéral  (OVF) sont claires et alarmantes :  classés comme ” épizooties ”, le nombre de cas enregistrés en 2002 sur l’ensemble de la Suisse  était de 268, pour ensuite augmenter régulièrement et atteindre à  fin 2009 le nombre record de  868 cas .

Pourtant, les abeilles helvétiques ne sont pas traitées en esclaves comme leurs consoeurs californiennes, espagnoles, françaises ….  Le type de cultures alimentaires et la dimension des exploitations ne justifient pas le transport massif de ruches au moment de la pollinisation; la politique de restauration des jachères au nom de la biodiversité est active et bien pensée. Les cultures  ” bio ” gagnent du terrain, donc les pesticides en perdent . Et pourtant les hécatombes d’abeilles domestiques n’épargnent pas la Suisse.

Que faire  ?

On attribue à  Albert Einstein cette sentence :  ” Si l’abeille venait à  disparaître, l’homme n’aurait plus que 4 années à  vivre. ”  Ce qui démontre qu’on n’est pas génial tout le temps. Le riz et le blé se pollinisent sans le service des abeilles, il y a le vent et d’autres insectes pour transférer le pollen. La question n’est pas, en fait, dans l’existence ou non des fruits et légumes, mais dans la quantité que nous jugeons nécessaire à  la satisfaction de nos besoins.  En fait, quels besoins ? Telle est la grande question.

On pourrait imaginer que les abeilles sauvages prennent le relais. Après tout, si 20’000 espèces d’abeilles ont été recensées dans le monde,  1 seule est domestiquée.  Plus de 900 espèces sauvages ont été  dénombrées en France,  et 580  en Suisse .  Problème : celles-ci sont des solitaires.  Pas de ruche, mais un tunnel creusé dans le sol.  Elles fertilisent les prairies et les champs, pour le bénéfice des autres insectes, des oiseaux et des herbivores de tous poils.

Symboliques de la bio-diversité  ( le propre-en-ordre plus béton étouffe )  les abeilles sauvages ont leur star :  l’abeille à  longues antennes a été élue animal de l’année 2010 par l’association Pro Natura en tant que représentante de la bio-diversité et rappel de la lourde menace qui  pèse sur les abeilles en général. Abeilles sauvages symboliques,  mais inexploitables.

En attendant,  le CCD  ( Colony Collapse Disorder ) continue de voir des colonies entières décimées  au point de disparaître.  Une demi-douzaine d’explications ont été avancées par les spécialistes, mais aucune n’est satisfaisante.  Ce serait plutôt la conjonction de ces facteurs négatifs qui expliquerait le désastre.  Alors : par où commencer  pour stopper l’hécatombe ?  On pourrait commencer par épargner aux abeilles la politique du toujours- plus-tout-le-temps.  Leur épargner notre frénésie de rendement.

Sans chimie, ce sera le début du meilleur remède. Foutons la paix aux abeilles. En attendant, on note un retour des abeilles en ville.  Nos campagnes sont donc si tristes? Vous reprendrez bien une tasse de pollen, non ?

Jean-Jacques Kurz. 21 avril 2010.

En savoir plus : site de Pronatura.ch

 

Mise à jour. 22 mai 2012.

Les importantes pertes de colonies d’abeilles justifient les efforts entrepris au niveau de la recherche

Berne, 22.05.2012 – Le Centre de recherches apicoles de la station de recherche Agroscope, la « Verein deutschschweizerischer und rätoromanischer Bienenfreunde » (VDRB) et l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) ont informé aujourd’hui au sujet de l’ampleur des pertes de colonies d’abeilles de l’hiver dernier. Sur l’ensemble du territoire suisse, près de 50% des colonies ont été décimées et on n’observe pas de différences significatives entre les régions. Les efforts entrepris par la Confédération visant à renforcer le soutien à la branche apicole constituent ainsi un pas dans la bonne direction. Le Conseil fédéral prendra prochainement des mesures y relatives.

Pertes de colonies d’une ampleur encore jamais vue

Pour la cinquième année consécutive, la « Verein Deutschschweizerischer und Rätoromanischer Bienenfreunde » a réalisé une enquête en ligne auprès des apiculteurs-trices de l’ensemble de la Suisse au sujet des pertes de colonies d’abeilles de l’hiver dernier. Cette enquête, qui englobe plus de 1’000 ruchers de tous les cantons suisses et de la Principauté du Liechtenstein, des apiculteurs-trices de toutes les classes d’âge et des ruchers situés à une altitude comprise entre 200 et 1700 m au-dessus du niveau de la mer ainsi que toutes les races d’abeilles présentes en Suisse, peut être qualifiée de représentative.

L’analyse des résultats montre une image bouleversante : près de 50% des colonies d’abeilles des apiculteurs-trices ayant participé au sondage, ont dépéri. Tous les cantons ont été touchés par ces pertes dans une proportion plus ou moins forte. Ce chiffre correspond au cumul des pertes avant la mise en hivernage début octobre 2011, les pertes hivernales jusqu’à la sortie de l’hivernage des colonies d’abeilles mi-avril 2012 ainsi que les colonies qui étaient trop faibles à la sortie de l’hivernage pour devenir une colonie de production. 50% correspond au chiffre difficilement imaginable de 100‘000 colonies. Ce sont les pertes les plus graves enregistrées depuis que ces chiffres sont relevés systématiquement. Du point de vue financier, cela équivaut à une perte de près de 25 millions de francs suisses pour les apiculteurs et qu’ils doivent supporter eux-mêmes.

A l’heure actuelle, il n’est pas encore possible d’estimer l’impact sur la pollinisation des plantes utiles et sauvages et sur le moral des apiculteurs concernés pour poursuivre leur activité.

Publié dans écologie