Foofwa d’Imobilité. Une vie en danses

musings-605

« Musings » de Foofwa d’Imobilité s’essaye à  suggérer sous forme d’une partition lumières mettant en valeur une composition flottante aléatoire tissée d’ombres et de présences tutélaires, dont celle du duo formée par le chorégraphe américain emblématique de la postmoderndance Merce Cunningham et son complice artistique, le compositeur John Cage. Entretien

Présence quasi génétique de cet enchanteur félin aux incroyables bonds et rebonds, Cunningham, qui marqua si fort l’histoire de la danse. Mais aussi le corps et les replis du coeur des êtres interprètes ayant croisés sa route (7 ans pour Foofwa), au-delà  de sa disparition au creux de l’été dernier.

B. T.  Comment se présente la composition de votre pièce chorégraphique « Musings » ?

Foofwa d’Imobilité: L’idée avant tout de différents temps, de 2 à 5 minutes séparés par un fondu au noir. Il y a cinq temps séparés par des noirs lumières. L’idée est de préserver une dimension calme proche d’une qualité méditative, des pensées et études dans une atmosphère empreinte de tranquillité. Les phrases que je chante en boucle sont souvent celles de John Cage ou inspirée de certaines idées de ce compositeur. Je chantonne ou siffle aussi ce qui peut évoquer certaines de ses compositions musicales.
L’opus retrouve la séparation de la danse et de la musique, apport principal du binôme Cage-Cunningham. On la retrouve dans un même corps en conservant la part de hasard. Les sons ne sont pas utilisés en relation directe avec les mouvements. Tirés de compositions de Cage et de propos de Cunningham et Cage, ils coexistent néanmoins dans le même corps de production, celui de l’interprète que je suis.

Qu’explore cette création ?

F. I. : Ce solo s’essaye à  suggérer d’autres présences qui échappent ou invisibles. Tant le danseur que la partition luminescente s’emploient à  induire l’idée d’un autre corps sur scène.
Je souhaite explorer de nouveaux rapports à  l’aléatoire, idée maîtresse, radicale du tandem Cage-Cunningham. Partir du corps avec le déséquilibre par nature plus difficile à  contrôler permet cette ouverture vers le chaos et le hasard. Par ce déséquilibre, il me semble pouvoir aborder quelque chose que je n’ai pas travaillée avec Merce comme interprète. Il s’agit ainsi de pressentir Merce et le travail sur le hasard avant de suivre une idée qui n’a pas été explorée et voir où cela mène.

Photos Musings : Gregory Batardon

Photos Musings : Gregory Batardon

A propos de votre pièce « Musings », vous parlez de : « Méditations sur le travail de Merce Cunningham et John Cage, 24 hommages par seconde. ». Cela semble faire référence à  : sa pièce « 16 danses pour soliste et compagnie de trois », une chorégraphie créée en 1951. Cet aspect « méditation » et cette notion de séquence étaient très présents lors de votre travail durant 7 ans à  la Merce Compagny.

F. I. : Oui, Merce travaille surtout en phrases ou en séquences particulières de mouvements. Ensuite, les sections ont souvent un timing propre que Merce vérifie à  chaque répétition. Il y a toujours un espace temporel auquel il est très attaché.

Dans « Musings », je souhaite développer un rapport étroit à  une structure propre au zen bouddhiste cher à  Cage et, secondairement, à  Cunningham. C’est l’idée du jardin Ryoanji, jardin de méditation zen bouddhiste japonais à  Kyoto. Il est marqué par un agencement très particulier de pierres. Elles sont quinze réparties en une constellation de cinq pierres, deux groupes de trois et deux ensembles de deux. Il n’est jamais possible d’embrasser les pierres d’un seul regard. On en voit ainsi souvent treize. D’où cette idée de temps particulier terminée par un noir avant de repartir. Si « Musings » compte cinq temps, c’est que ce découpage répond à  autant de groupes de pierres dans le jardin zen Ryoanji.

Un jardin étrange pris dans un rectangle, des iles perdues dans un océan de pierre. On a l’impression de retrouver « Le Livre des méditations », comme si ces minéraux avaient été jetés là  par hasard.

F. I. : Contrairement aux jardins anglais ou français, les jardins zen bouddhistes nippons ont une présentation spécifique, où la nature est beaucoup laissée à  elle-même. On débroussaille et simplifie les choses. Les pierres sont entièrement visibles et leur beauté est ainsi révélée. Une idée qui est chère à  John Cage.

Le jardin zen induit des notions essentielles à  Cunningham, l’entre deux, le vide, l’espace.

F. I. : Ce qui est intéressant avec le mouvement cunninghamien qui a souvent été interprété comme robotique, c’est l’idée du yin et du yang dans le mouvement, c’est-à -dire la mobilité et l’immobilité coexistant au sein d’une phrase de danse. Il y a l’arrêt de la position et le passage vers une nouvelle position qui créent l’arrêt et l’immobilité dans le mouvement. Cet aspect spécifique de l’approche du mouvement chez Merce est très proche des idées bouddhistes. Je ne pense pas aborder le mouvement de la même façon. Néanmoins je tiens à  ce que chaque mouvement soit entouré d’une cellule de tranquillité. Laisser chaque chose avoir sa vie propre et du coup que chaque chose suscite un respect équivalent.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Musings, chorégraphie Foofwa d’Imobilité

Mercredi 11 et jeudi 12 juin 2014 à 21h
Théâtre de Vidy-Lausanne
Rens. : www.vidy.ch

Musings de Foofwa d’Imobilité se joue avec une autre pièce chorégraphique, Pina Jackson in Mercemoriam, à  l’Arsenic du 23 au 26 mars 2011

Cet article est paru la première fois le 17 décembre 2009 lors de la présentation de Musings à  l’ADC Genève.

Tagués avec : ,
Publié dans danse
Un commentaire pour “Foofwa d’Imobilité. Une vie en danses
1 Pings/Trackbacks pour "Foofwa d’Imobilité. Une vie en danses"