La performance héroïque de Mishima revue par Yasumasa Morimura

Morimura

Yasumasa Morimura “Seasons of Passion / A Requiem: Mishima”, 2006.

L’oeuvre d’art en tant que décor, le concept rituel de l’expérience d’art, et l’oeuvre d’art comme acte d’énonciation sont autant d’éléments constitutifs de la performativité que le Centre d’art contemporain de Genève présente dans un cadre muséal, et centré sur la scène japonaise. Sont-ils si différents de ce qui est produit dans d’autres pays ? Les oeuvres telles la représentation du Fuji Yama par l’Atelier Bow-Wow, la quotidienneté traditionnelle exprimée dans les masques de Tomoko Sawada ou la naïveté de l’arbre à  souhaits de Yoko Ono, sont autant d’actions rituelles récurrentes dans l’art japonais tandis que le questionnement de Morimura sur notre capacité à  défendre l’art se révèle plus universel.
L’oeuvre de Yasumasa Morimura ” Seasons of Passion/ A Requiem: Mishima” est probablement la plus impressionnante pour aborder la question du caractère japonais attaché à  sa culture nationale.

Qui est Yukio Mishima? L’écrivain doit sa légende sulfureuse aux tabous traditionnels qu’il a bousculés. Plus connu à  l’extérieur du Japon comme écrivain « gay », à  l’intérieur de son pays c’est son ancrage très à  droite qui a retenu l’attention. Yasumasa Morimura, né en 1951, est connu par avoir détourné des photographies de figures féminines iconiques, comme Marilyn Monroe ou Mona Lisa, dont il remplaçait le visage par le sien. Le processus permet à  Morimura de déconstruire une image facilement reconnaissable pour la doter d’une critique sociale ou politique.

Dans Seasons of Passion/ A Requiem: Mishima de Yasumasa Morimura, a rejoué le drame du suicide de Yukio Mishima en 1970 en utilisant les ficelles de la propagande fasciste. Yasumasa Morimura, le front ceint d’un bandeau blanc, vêtu d’un uniforme militaire couleur caramel semblable à  la tunique de Mishima a re-joué le célèbre discours dans son pays d’origine mais au lieu de diriger ce discours contre les Forces Japonaises d’auto-défense que Mishima avait attaquées, il a dénoncé avec virulence le manque de courage des artistes contemporains : « L’âme du Japon a été dénaturée. Et tout le monde s’en moque ! Et vous savez quoi ? Vous savez ce qui s’est passé le 25 novembre 1970 ? (D’accord. Je vois. Je vois que personne d’entre vous ne se soulèvera pour la cause de l’art. Avec cela, ma foi dans l’art est à bout. Tout ce que je peux faire, c’est crier « Banzaï ! »

Cette projection vidéo rappelle une histoire tragique du fascisme japonais après la Seconde Guerre mondiale mais le sens est détourné vers une autre réalité différée, celle de la forme extrême du fascisme à  l’ironie de l’héroïsme de l’art contemporain.

L’acte de rejouer le geste de Yukio Mishima est plus complexe qu’une simple répétition de la scène. La théâtralité chez Yasumasa Morimura agit comme un agent dialectique superposé dans la mémoire et l’histoire pour se la réapproprier par une ironie noire. « L’histoire est la mémoire publique, et mes souvenirs sont personnels. Quand les images historiques contrarient ces souvenirs, cela me trouble parfois intérieurement» Yasumasa Morimura.

L’artiste semble d’abord se distancier de sa propre subjectivité, mais nous nous imprégnons d’un autre drame. Nous retrouvons un autre héros dépressif, une autre tragédie comme une velléité par et pour cette icône tragique historique avec son acte de suicide – Yukio Mishima. En même temps cet alter-héros montre un autre aspect de Yukio Mishima : si cet homme ne s’était pas fait hara-kiri, la souillure de son nom aurait-elle été une conséquence de sa vie, ou de sa mort?
Seasons of Passion/ A Requiem: Mishima, est la pièce la plus politique de “Between Art And Life”.

Yi-hua Wu

Between Art and Life. Performativity in Japanese Art. Centre d’art contemporain, Genève. Jusqu’au 1er février 2009.

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