Sami Kanaan peut-il faire de Genève une destination culturelle?

Diversité culturelle: combats de reines sur la plaine de Plainpalais, danse contemporaine aux Bains des Pâquis lors de l’ouverture des Fêtes de Genève 2012.

« Oui, répond le magistrat, mais pas seul. » Sa nomination par le Conseil administratif à la Fondation pour le tourisme, en remplacement de Pierre Maudet, coïncide avec la volonté affichée par le Conseil d’Etat d’optimiser la gouvernance des instances du tourisme. Interview.

A ce titre, le magistrat en charge du Département de la culture et des sports participera à l’établissement de la politique en matière de tourisme sur le territoire genevois.

  Sami Kanaan,  Conseiller administratif de la ville de Genève, Département de la culture et du sport. Interview, 17 septembre 2012.

Ville chère où foisonnent les hôtels et restaurants de luxe, mais peu sûre et dont les institutions culturelles sont fermées le week-end, c’est le portrait de Genève qu’ont dressé les responsables de la promotion touristique et le « ministre du commerce » du canton lors du colloque « Genève Tourisme & Journalisme » qui s’est tenu à la fin du mois d’août.
En se flattant de la situation géographique de Genève qui permet de faire « du ski de piste le matin et nautique l’après-midi », le président de la Fondation pour le tourisme ne fait qu’actualiser le slogan du précédent directeur de Genève tourisme qui proposait « du ski de piste le matin et une croisière sur le lac l’après-midi », tandis que le Pierre-François Unger précise qu’à Genève « le week-end les musées sont fermés et les théâtres en panne. » Le conseiller d’Etat remet donc le couvert après Jean-Pierre Jobin dont les propos avaient provoqué des remous en 2010 : «On s’emm… à Genève le dimanche».

Mouvements touristiques à Genève, le tourisme de loisir ne représente que 22% des mouvements et ne concerne que peu les week-ends. Source: Genève Tourisme.

Si « pour les touristes, Genève, c’est la rade et le jet d’eau », n’est-ce pas dû à l’image qui leur est vantée ? La nécessité du renouvellement de l’image n’échappe pas à J.-P. Jobin qui constate un changement de tendance : « le tourisme urbain séduit de plus en plus et sa croissance est supérieure au tourisme traditionnel prônant en Suisse le Heidiland ».
Les faiblesses de la promotion sont reconnues par Philippe Vignon, le directeur général : « les notes attribuées à Genève sur d’autres aspects (note : hors fréquentation des établissements de luxe) se détériorent rapidement quand d’autres villes améliorent parallèlement les leurs. Les scores de Genève sont médiocres sur le climat économique et l’environnement et elle se positionne moins bien par rapport aux autres villes jugées en ce qui concerne les sorties et la culture. »

Au plan national, la culture ne fait pas l’objet de plus d’attention de la part de Nicolas Bideau, si l’on se réfère à ses déclarations récentes; bien que chargé de «vendre» le pays à l’étranger, le fonctionnaire aligne les clichés sur la place financière sans un mot pour l’extrême diversité de l’offre culturelle.

Actuellement les trois-quarts des personnes qui viennent à Genève le font par obligation professionnelle, et seulement 22% s’y rendent dans un but de loisir tout en se gardant bien d’y passer le week-end. Cette situation confortable, à l’origine de l’insouciance des responsables du tourisme, durera-t-elle ? Depuis que l’aura de l’ONU s’est ternie, tout comme celle des banques, c’est à la culture qu’incombe la mission de créer une image de ville séduisante et divertissante. Le magistrat voit dans cette mission la possibilité « d’éveiller l’intérêt de personnes plus jeunes qui, satisfaites en tant que touristes, pourront aussi revenir en tant que décideurs . »

« Dans notre économie globale, les produits culturels sont de plus en plus demandés et l’on peut même dire que bien des produits non culturels revêtent des dimensions culturelles au plan de leur contenu, de leur forme ou de leur sens, dimensions alors éminemment créatives. C’est même la condition pour qu’ils deviennent compétitifs. » Source: rapport de synthèse sur l’attractivité culturelle de la France du Ministère de la Culture et de la Communication français, Xavier Greffe, mai 2006.

Une prise de conscience tardive ?

Au début du mois d’août 2012, lors de la présentation du programme des Fêtes de Genève, les organisateurs ont émis le souhait d’adjoindre une touche culturelle à l’événement estival, montrant ainsi une prise de conscience de la mutation du tourisme décrite dans un rapport de L’OCDE (2009) :

« Les destinations les plus courues sont celles qui ont pris conscience de la véritable envergure de la relation existant entre le tourisme et la culture. Plus de 50 % de l’activité touristique en Europe est générée par le patrimoine culturel et le tourisme culturel devrait être la composante du secteur du tourisme à connaître la plus forte croissance. Il semble que la plupart des régions valorisent désormais leurs biens culturels matériels et immatériels pour améliorer leur avantage comparatif sur un marché du tourisme soumis à une concurrence croissante et marquer leur spécificité locale face à la mondialisation.»

En Italie, un rapport des chambres de commerce met en évidence que le secteur culturel crée actuellement le plus d’emploi, tandis que lors du Sommet international de la culture 2012, à Edimbourg, en Ecosse, le British Council a souligné que dans de nombreux pays « l’investissement dans la culture est la clé du développement économique et social, le nouveau musée de Bilbao a fait de la ville une destination des plus courues en Europe, en Chine le gouvernement a indiqué que l’économie culturelle et créative deviendra un des piliers de l’industrie d’ici 2015. Partout autour du globe où des investissements dans les arts et la culture ont été réalisés, le développement économique a suivi, entrainant des investissements et des emplois. »
Cependant, en quête de solutions rapides, de nombreuses régions semblent passer outre le fait qu’un développement culturel et touristique efficace est un processus de long terme. Les études de cas concernant Glasgow et Barcelone font ressortir cet état de fait. Ces deux villes ont lancé leur programme de développement culturel dès le début des années 80 et ne commencent que maintenant à en tirer pleinement les fruits. »

Que font les villes mondiales de culture ?

Lors du sommet des villes culturelles mondiales,  le directeur de British Museum, Neil MacGregor (5.8 millions visiteurs en 2011, le plus visité de GB, créé lors de la première économie globale au milieu du XVIIIe) estimait que c’est l’entretien de la diversité «qui fait de Londres une ville mondiale, ce n’est pas l’intégration culturelle mais l’encouragement de la diversité qui favorise les apports multiculturels dans le sens le plus large. » Le rapport du sommet indique que la contribution des arts et des industries créatives est fondamentale pour le bien-être d’une ville. En liaison avec la finance et le commerce, la culture est la pierre angulaire qui fait d’une ville un moteur du système économique global. »
Le secteur est soutenu différemment selon les villes mondiales de culture. New York fait un effort très important avec un système de partenariats public/privé tandis qu’à Shanghai c’est l’Etat qui investit massivement dans la culture pour positionner la ville sur le plan mondial tout en reconnaissant son rôle dans la création du lien social dans une ville en mutation permanente. En Australie, Sydney annonce offrir plus de festivals et d’événements qu’aucune autre ville mondiale.

A Paris, le secteur culturel est devenu le premier pilier de l’attractivité touristique

« Les grandes destinations urbaines ont le vent en poupe,  La tendance est aux courts séjours, ce qui favorise des villes. Paris a fait un tabac en 2011 » annonce le responsable de l’office du tourisme qui indique que la fréquentation touristique du Louvre a augmenté de plus de 400% en près de 40 ans. « Les gens ne se déplacent plus seulement pour la plage, le soleil, ils veulent voyager intelligent. Entre 1974 et 2010, la fréquentation du musée du Louvre est passée de 1,53 million de visiteurs à 8,34 millions, soit une augmentation de 444,6%, d’après des chiffres présentés par l’Office du tourisme et des congrès de Paris (OTCP), le 4 août 2011, à l’occasion de ses quarante ans. En quatre décennies, le secteur culturel est “devenu le premier pilier de l’attractivité touristique de la capitale”. Avec le Louvre, d’autres lieux culturels touristiques affichent des croissances de fréquentation à trois chiffres.

Le cinéma contribue fortement à nourrir l’imaginaire et Paris sait attirer les metteurs en scène:  “Paris, je t’aime” (2005) – voir l’extrait ci-dessus – est une suite de 18 courts-métrages sur 18 des 20 arrondissements de Paris;  “Da Vinci Code” (2006) tourné à Paris par Ron Howard, “Et là-bas, quelle heure est-il ?” (2011) de Tsai Ming-liang a beaucoup fait pour Paris en Asie.   “Rouge” de Krzysztof Kieślowski (1994) est pour Genève un exemple trop rare.

Difficultés de financement des activités culturelles

Le rapport de l’OCDE indique que « pour établir ce lien entre tourisme et culture, la mesure la plus importante consiste à mettre en place un partenariat efficace entre les acteurs des deux secteurs. Bien souvent, la difficulté vient du fait qu’on se trouve en présence d’intérêts antagonistes : but lucratif ou non lucratif, but commercial ou public, etc. Le rôle de toute plateforme qui s’efforce de réunir ces deux secteurs doit donc être d’identifier les intérêts communs et de faire office de médiateur. Naturellement, les deux secteurs ont un intérêt commun à attirer des individus dans leur région, mais bien souvent leur approche pour y parvenir diffère.
Pour le secteur du tourisme, il est normal de parler des visiteurs, vus comme des consommateurs ou des clients, alors que le secteur de la culture s’intéresse davantage aux habitants vus généralement comme un public ou des résidents. Si l’on parvient à montrer que les touristes font aussi partie du public culturel (même s’ils ont dû venir de plus loin pour cela), il est possible de gommer ces différences.

Le financement est l’un des principaux problèmes du secteur culturel. La culture étant généralement considérée comme une nécessité à laquelle tout le monde devrait avoir accès, le prix des biens et services culturels est souvent minoré dans cette optique. De ce fait, les retombées économiques du tourisme pour les institutions culturelles elles-mêmes sont souvent limitées. Comme les régions ont de plus en plus besoin de justifier les financements alloués à la culture aux côtés des autres biens publics, il importe donc que la valeur culturelle, sociale et économique de la culture soit bien perceptible. Il est important que les régions trouvent des mécanismes pour garantir que certaines des retombées économiques des flux touristiques reviennent aux institutions culturelles qui les engendrent. »

Sami Kanaan constate : « auparavant, définir l’angle d’appel pour Genève où mettre la culture en avant n’était pas une priorité », mais la volonté politique de réagir en préparant le long terme existe et les décideurs de la Fondation pour le tourisme vont s’attaquer à l’élaboration d’un plan stratégique quadriennal lors de leur première réunion le 21 septembre 2012.
Loin d’être orientées vers le seul but de favoriser le tourisme, «les politiques couronnées de succès sont aussi celles qui inscrivent la culture et le tourisme dans un vaste cadre et les considèrent comme des instruments capables de renforcer l’attractivité des régions non seulement comme destination touristique, mais aussi comme lieu de résidence, de travail et d’investissement.»

Jacques Magnol

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Réforme de l’association Genève Tourisme & Congrès (GT&C) intégrera la Fondation pour le tourisme par le biais d’un transfert de patrimoine, dès janvier 2013, sous réserve de l’approbation de cette réforme lors de sa prochaine Assemblée générale extraordinaire, prévue le 7 novembre 2012. Objectif : simplifier et clarifier la structure du tourisme genevois afin de remédier aux faiblesses du modèle de gouvernance actuel, à savoir la dispersion des responsabilités, la gestion fragmentée des fonds alloués au tourisme genevois, le manque de clarté de la ligne stratégique ainsi que la lourdeur du processus décisionnel. La nouvelle structure de droit privé portera le nom de Fondation Genève Tourisme & Congrès.

Culture et tourisme : un lien qui se renforce
“Durant la majeure partie du 20e siècle, tourisme et culture étaient considérés comme des composantes des destinations largement distinctes l’une de l’autre. On estimait que les ressources culturelles faisaient partie du patrimoine culturel des destinations, dépendant largement de l’éducation de la population locale et constituant le socle de l’identité culturelle locale et nationale. On considérait en revanche le tourisme comme une activité de loisir indépendante de la vie de tous les jours et de la culture de la population locale. Cette vision des choses a progressivement évolué vers la fin du siècle, à mesure qu’il est devenu de plus en plus évident que les atouts culturels exercent une influence, attirant les touristes et permettant aux destinations de se distinguer les unes des autres. A partir des années 80 notamment, le « tourisme culturel » a été considéré comme une source importante de développement économique pour de nombreuses destinations.” OCDE

Mise à jour: Statistiques, 20 novembre 2012.
Le tourisme urbain est florissant dans les cinq grandes villes suisses. En termes relatifs, la croissance des nuitées lausannoises de 1992 à 2011 (+21 %) dépasse celle de Genève (+14 %) ; mais elle se situe largement derrière les progressions de Zurich (+39 %), Berne (+43 %) et surtout Bâle qui affiche une hausse spectaculaire de 71 %. D’un point de vue structurel, Zurich (2 638 000 nuitées en 2011), Genève (1 947 000) et Bâle (1 070 000) disposent toutes trois d’un aéroport international desservi, notamment, par les compagnies «lowcost» qui ont permis l’essor récent du tourisme urbain. Enfin, Berne draine en permanence un nombre important de nuitées en tant que capitale fédérale. L’essor du tourisme urbain que connaît Lausanne depuis presque 20 ans (+21 % de nuitées entre 1992 et 2011) reste remarquable. La crise économique en Europe et le franc fort sont cependant les principales causes de la décroissance des nuitées depuis les quatorze derniers mois, à l’exception des mois de mars et septembre 2012. (Source: Bureau d’Information et de Communication de l’Etat de Vaud.)
A Genève, Au troisième trimestre 2012, le nombre de nuitées enregistrées dans l’hôtellerie genevoise est en baisse de 3,4 % par rapport au trimestre correspondant de 2011, mais il reste à un niveau élevé.  (Reflets conjoncturels, Office cantonal de la statistique (OCSTAT), n° 4, décembre 2012, 4 pages.)

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Un commentaire pour “Sami Kanaan peut-il faire de Genève une destination culturelle?
  1. Simon dit :

    Avec une lecture plus politique des propos du représentant de la droite on voit que la culture de ce monsieur c’est le shopping et qu’il voudrait que les commerces ouvrent le dimanche, 7/7 et 24/24,

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