La scène alternative doit inventer un nouveau mode de fonctionnement

28 juillet 2007 sur la Place Neuve

28 juillet 2007 sur la Place Neuve. Photos Jacques Magnol

Fin d’une époque pour une scène alternative qui doit inventer un nouveau mode de fonctionnement.

Un dossier réalisé par Marion Petrocchi

Difficile de comprendre les derniers évènements survenus à  Genève. Depuis la nomination du procureur général Daniel Zappelli, la politique envers les squats a pris un tournant radical. Les pouvoirs politiques appliquent une politique de « tolérance zéro » à  l’encontre des squats. Cette tendance s’est concrétisée par un nouveau mode d’évacuation, qui a commencé avec l’évacuation de la maison Blardonne à  la Jonction, l’année passée. Cette méthode musclée, qui consiste à  interpeller les habitants pour violation de domicile, les conduire au poste de police afin de pouvoir établir la non-occupation des lieux, est beaucoup décriée. De nombreuses personnalités de gauche tiennent la pratique du procureur général pour proche de l’illégalité.

Mais comment la situation s’est-elle dégradée ? Après l’évacuation des squats de la Tour et de Rhino, les prochaines à  venir (l’Arquebuse), que restera-t-il à  Genève comme lieux alternatifs ?

Retour sur l’histoire de ces mouvements alternatifs avec le sociologue Dominique Gros :
[audio:https://www.geneveactive.ch/2007/09/d.gros.mp3]
Place Neuve

Si les milieux de droite sont scandalisés par le non-respect de la propriété privée, que dire du droit au logement, inscrit dans la Constitution de la République du canton. Laisser des bâtiments à  l’abandon pendant des années dans un but spécultif, ne semble pas déranger outre mesure les ardents défenseurs des milieux immobiliers. Tous les locataires en pâtissent.
Les squats, ne sont pas des lieux de « non-droit », d’illégalité, dangereux pour l’ordre public, comme aiment à  le répéter certains. Ces lieux sont au contraire primordiaux pour préserver l’ordre public.

Il est impératif de se rappeler comment sont nés les squats et quelles étaient les revendications à  l’origine de ces occupations de bâtiments. Dans une ville comme Genève, qui souffre d’une pénurie de logement chronique depuis 30 ans, où la spéculation immobilière fait le bonheur des secteurs immobiliers et politiques, il est temps de se poser les questions qui dérangent. Suite aux évacuations de cet été, les squatters ont souvent été présentés comme des adversaires des locataires, qui eux paient des loyers, alors que le combat de certains squatters se rapproche de celui des locataires. Les deux luttent contre la pénurie de logement, le surenchérissement des loyers et la spéculation immobilière. Si certains mouvements squats se battent pour obtenir des espaces autogérés, ou une autre forme d’habitat (habitat en communauté, par exemple, avec une plus forte participation des habitants dans la gestion de leur logement), cela ne s’oppose pas aux revendications des locataires. Mais diviser pour régner est plus facile !!!

Pour rappel, le développement de la mouvance squat, durant les années 1980, a permis de mettre en avant certaines questions cruciales sur la pénurie de logement, le surenchérissement des loyers et la spéculation immobilière. Si la mobilisation a commencé dans les années 1970, avec la lutte pour la protection du quartier des Grottes, les occupations se généraliseront dans les années 1980-90. Une lutte qui a porté ces fruits, puisque le quartier des Grottes a pu être réhabilité et vient, en ce mois de septembre, de fêter ses 30 ans de lutte. Cela nous rappelle combien cette problématique est actuelle!
Les occupations de bâtiments inoccupés ont également mis les pouvoirs publics face au manque d’espaces de création, d’autonomie et d’autogestion. Avec les différentes occupations des années 1980-90, une richesse culturelle a pu voir le jour. La scène alternative genevoise, qui fait entièrement partie de la culture de la ville, a connu un développement florissant grâce au développement des occupations d’immeubles et donc des squats. Le but recherché n’étant pas, bien évidemment, de s’exonérer de loyers et de vivre « au crochet de la société », mais bien de défendre un mode de vie différent, une autre vision du monde, du logement et de la création culturelle.

Mais, cette diversité sociale et culturelle semble aujourd’hui condamnée et tous les apports culturels, artistiques, musicaux, sociaux, disparaissent dans ce cycle d’évacuations successives. En faisant disparaître les squats, c’est tout un pan de la culture genevoise qui disparaît aussi. Mais cela ne résoudra en rien la situation désastreuse du logement à  Genève. En effet, dans cette logique, les pouvoirs publics se trompent et ne résoudront pas la crise profonde du logement par la mise à  la rue des personnes occupant les locaux vides.

A la rencontre des acteurs politiques et sociaux

Pour comprendre cette évolution et rappeler la richesse de la culture alternative, nous sommes allés à  la rencontre de différents acteurs politiques et sociaux, qui ont joué un rôle, de près ou de loin, dans le développement de la scène alternative genevoise :

– Le sociologue Dominique Gros s’est beaucoup intéressé à  la scène alternative à  la fin des années 1980. Il nous relate l’historique et le développement de la scène alternative et de la mouvance squat à  Genève. Un rappel des premières revendications qui ont conduit à  de telles actions est indispensable pour avoir un débat objectif et éviter les polémiques superficielles, malheureusement beaucoup développées dans les journaux.

Claude Haegi, fut conseiller administratif de la ville de Genève puis conseiller d’Etat dans les années 1980, il a tenu un rôle important. Ce magistrat fut à  l’origine des « contrats de confiance », qui ont permis de développer une stratégie de dialogue et une politique de « tolérance » à  l’égard des squatters. Ce qui rappelle qu’un dialogue est possible entre les différentes parties.
Ecouter l’intervention de Claude Haegi
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Léon Meynet fut actif dans le mouvement squat durant les années 1970-80. Son engagement personnel pour la défense d’une liberté d’expression et de choix de vie, l’a amené à  se mobiliser aux côtés des squatter. Il s’inquiète des évacuations successives et rappelle les dangers, pour Genève, d’étouffer cette effervescence culturelle.
Ecouter l’intervention de Léon Meynet.

Fernando Sixto et Marion Innocenzi, programmateur de la Cave 12 et ex-habitants du Rhino, salle de concert du Rhino. Ce haut lieu de la culture alternative genevoise et de renommée internationale, qui existe depuis 18 ans, a fermé ces portes suite à  l’évacuation de Rhino, ils nous font part de leurs impressions suite à  leur expulsion.
Ecouter l’intervention de Fernando Sixto et Marion Innocenzi.

Caroline Lacombe, de Bateau Genève. Ecouter l’intervention de Caroline Lacombe.

Marion Petrocchi

 

Mise à  jour : 28 juillet 2008.

Le Conseil d’Etat a défini sa position vis-vis des squats :

“Le Conseil d’Etat n’accepte ni le maintien d’immeubles de logements vides à  des fins spéculatives, ni le squat. On rappellera les efforts, couronnés aujourd’hui de succès, pour la transformation de l’hôtel Carlton, et si le Conseil d’Etat préfère agir par la persuasion, il rappelle aussi qu’il dispose de moyens légaux permettant d’obliger les propriétaires récalcitrants à  effectuer les travaux ou de réquisitionner les logements laissés abusivement inoccupés et il n’hésitera pas à  faire usage de ces moyens si les circonstances les justifient.

En ce qui concerne les squats, plusieurs cas de figure doivent être précisés :

  • En cas de flagrant délit, et pour autant que le propriétaire d’un immeuble dépose plainte pénale en exigeant l’évacuation de son immeuble immédiatement après l’occupation du site, l’immeuble est évacué, au besoin avec l’assistance des forces de police.
  • Lorsque le propriétaire d’un immeuble occupé omet de déposer plainte ou dépose plainte en indiquant qu’il ne requiert pas pour autant l’évacuation, l’évacuation ne pourra être ordonnée que si le propriétaire est au bénéfice d’un jugement ou d’une décision administrative exécutoire et en force.
  • L’exécution d’un jugement ou d’une décision administrative d’évacuation est toujours précédée d’un avertissement clair indiquant aux occupants que, passé un délai raisonnable fixé dans l’avertissement, ils s’exposent à  une évacuation forcée.
  • Le procureur général a la faculté, afin d’éviter que des locaux destinés au logement ne demeurent vides, de faire coïncider l’exécution du jugement ou de la décision avec l’ouverture du chantier.

Pour les immeubles squattés appartenant à  l’Etat, outre les principes ci-dessus, le DCTI ne sollicitera l’évacuation que pour autant qu’un projet concret soit prêt à  démarrer immédiatement après l’évacuation.

Il résulte de ces principes que si un squat a été toléré par le propriétaire, l’évacuation ne pourra avoir lieu que sur la base d’un jugement ou d’une décision administrative exécutoire et en force de sorte que l’éventuelle interpellation de squatteurs sur ordre du procureur général, dont c’est la compétence, ne pourra en aucun cas conduire à  une évacuation.”

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Publié dans politique culturelle, société
Un commentaire pour “La scène alternative doit inventer un nouveau mode de fonctionnement
  1. paul dit :

    2008 , 40 ans après mai 68, la Genève alternative est quasi morte. Pas de relève pour le mouvement, les quelques jeunes contestataires, ne sont pas très organiseés. Les vieux alternos on des enfants, un job dans un centre de loisir et la télévision. Les 3 squats qui subsitent ne sont ni alternatifs, ni politics, rien de revendicatifs dans ces lieux. ex: Artamis est un pseudo centre culturel lucratif, ou la jeunesse qui ne réfléchi pas, vien se bourer la guele le week end. peut ètre que inconsciament, une envie de révolte va réveillé les esprits endormis d une nouvelle génération, qui va enfin montrer a nos politiccccs, que largent,la spéculation,la répréssion,les loyers, la lobotisation, les banoles, les blochers, les zapppelliii,etc… on en veux plus en Suisse et dans le monde. VIVE L ACTION DIRECTE.

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