Post tenebras néon, Genève s’offre un Mamco bis

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Exposition Biens Publics. Musée Rath. Genève.

Le Musée Rath accueille, sur sollicitation de Monsieur Bernard, directeur du Mamco en partance pour la retraite, une exposition d’œuvres contemporaines choisies pour l’essentiel parmi les collections des Fonds municipal et cantonal d’art contemporain, du Musée d’art et d’histoire de Genève et, pour 45%, de la collection du Mamco. C’est l’occasion de revoir des pièces bien connues, de Tony Cragg à Markus Raetz ou Mario Merz, entre autres, pour celles qui proviennent des seules collections publiques.

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Markus Raetz. Exposition Biens Publics. Musée Rath. Genève.

Cette exposition permet de mesurer le chemin parcouru en plus de quarante ans dans la découverte de la création visuelle de notre époque. En effet, c’est à la suite de l’exposition Art du 20e siècle. Collections genevoises, organisée en 1973 par le MAH, que l’idée d’un musée consacré à l’art moderne et contemporain est née à Genève. Biens publics se veut ainsi un hommage à la passion et la persévérance de ses premiers défenseurs.

Si le Mamco fête aujourd’hui ses 20 ans, il ne faut pas oublier qu’il en a fallu autant entre le moment où la volonté de créer un tel musée s’est exprimée et sa réalisation. Durant l’été 1973, les Musées d’art et d’histoire accueillent au Musée Rath et au Cabinet des estampes une exposition en deux parties intitulée Art du XXe siècle. Collections genevoises. Il s’agit alors de montrer qu’il existe à Genève un réel intérêt pour l’art moderne et contemporain, même si aucun musée ne lui est consacré. Cet enthousiasme se manifeste notamment par le nombre important de collections privées genevoises comprenant des œuvres de ces périodes. À la suite de l’exposition, l’Association pour un Musée d’art moderne (AMAM) est fondée au MAH. Réunissant collectionneurs et professionnels, l’AMAM se met alors à constituer une collection d’œuvres du XXe siècle qui sera à l’origine de la création, vingt ans plus tard, du Musée d’art moderne et contemporain de Genève.

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Le Rath scindé en 19 salles pour recréer un mini Mamco

Heureuse scène de l’art contemporain que celle genevoise qui, en ces temps économiquement difficiles pour la culture, peut se permettre de reconstituer les salles du Mamco entre les murs du Musée Rath, la salle d’exposition du MAH distante de seulement 600 mètres. Pendant deux mois, Genève aura eu deux Mamco.

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Tony Cragg. La Palette, 1980. Exposition Biens Publics. Musée Rath. Genève.

L’occasion de la célébration des 20 ans du Musée d’art moderne et contemporain était pourtant belle de drainer le large public de l’événementiel vers ses propres salles généralement désertes, mais la pompe et la splendeur du Rath, lieu culturel prestigieux qui accueille les grandes expositions temporaires du Musée d’art et d’histoire, se sont révélées trop fortes. Dans ce contexte, le choix est judicieux car aucun autre cadre, sinon peut-être l’Ariana, ne peut mieux convenir au nouvel académisme que célèbre la scénographie de Biens Publics. Après avoir tant vanté les mérites du bâtiment industriel, son adéquation – y compris politique – aux œuvres et à l’époque, que signifie cette aspiration à la reconnaissance dans un lieu de prestige ?

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Exposition Biens Publics. Musée Rath. Genève.

 

Le commissaire est « l’œuvre »

Dans ce genre d’exercice narcissique extrême, celui d’un directeur qui construit son mausolée éphémère, les œuvres à voir ne sont plus celles des artistes. L’œuvre reine est celle du commissaire qui a « pensé » non pas l’exposition mais la déambulation d’une salle à l’autre et la conversation des œuvres entre elles. Car ces œuvres dialoguent, expliquait M. Bernard lors de la conférence d’inauguration :

« Nous avons discuté ensemble (avec les FMAC, FCAC et MAH) des artistes que nous pensions qu’il était absolument nécessaire de montrer, de qui nous ne pouvions pas nous passer, et nous avons dressé une liste. Ensuite nous avons évalué quelles œuvres étaient les plus souhaitables.
De là, j’ai examiné avec quelles œuvres faire l’exposition, comment les articuler, c’est à dire voir la compatibilité des œuvres entre elles pour développer des conversations. Voilà comment nous arrivons avec dix-neuf salles, dont certaines monographiques, d’autres qui reposent sur des duos ou des trios, puis des salles un peu plus éclectiques, collectives. A chaque fois il est question de créer des effets d’écho d’une salle à une autre, par exemple entre Silvia Bächli et Tony Morgan et, de l’autre, un dialogue à trois avec Fabrice Gygi, Didier Rittener et Alain Huck. A chaque fois, un personnage accueille les autres, Bächli accueille Tony Morgan, puis Alain Huck accueille Gygi et Rittener, etc.
Notre initiative fut l’occasion de réfléchir sur ce bâtiment et d’en donner une nouvelle version avec le concours de l’architecte Tarramo Broennimann qui a proposé une nouvelle répartition de l’espace car il a fallu s’adapter à un lieu qui a dû être très efficient, très opérationnel au XIXe siècle mais qui ne l’est plus au XXIe tant l’addition des contraintes est considérable. »

Plusieurs artistes chanceux, tel Pascal Pinaud professeur à la Villa Arson, sont si importants aux yeux du « curateur » qu’ils sont montrés dans les deux lieux. Ecoutez-donc ces conversations – ou tentez de le faire – car notre époque est celle du story-telling puisque nombre de ces travaux n’existent que par le discours idéologique qui les soutient.
Malheureusement, aucune histoire, feuille de salle ou explication n’est disponible pour les visiteurs qui ne comprendraient pas d’emblée les subtilités des conversations entretenues. Au Mamco, l’art dit contemporain est réservé à ceux qui savent, où irions-nous s’il fallait partager avec la masse ? Cette même masse de citoyens qui assume financièrement les 2/3 du budget de fonctionnement du musée.

 

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Post tenebras néon

Le Musée Rath est un musée suisse situé à Genève. Premier musée du pays à être ouvert au public, il accueillit les collections précédemment conservées depuis 1804 à l’Hôtel de Ville et à l’église Saint-Germain, jusqu’à leur transfert au Musée d’art et d’histoire de Genève en 1910. La conservation d’œuvres anciennes impose l’éclairage discret adapté mais cette contrainte disparaît avec la majorité des œuvres contemporaines, et M. Bernard l’invoque pour vanter l’audace de sa transgression :

« Nous avons essayé de sortir de l’atmosphère crépusculaire créée par les spots qui éclairaient récemment avec beaucoup de discrétion les tableaux de Courbet pour introduire un éclairage provenant plutôt de l’ère industrielle qui nous est chère en introduisant des tubes fluorescents, ce qui est une première façon pour le Mamco, non pas dans un esprit impérial mais dans une contagion affective, de s’installer au Rath et faire valoir ses façons de faire. Voilà comment nous arrivons avec dix-neuf salles, dont certaines monographiques, d’autres qui reposent sur des duos ou des trios, puis des salles un peu plus éclectiques, collectives. A chaque fois il est question de créer des effets d’écho d’une salle à une autre, par exemple entre Silvia Bächli et Tony Morgan et, de l’autre, un dialogue à trois avec Fabrice Gygi, Didier Rittener et Alain Huck. A chaque fois, un personnage accueille les autres, Bächli accueille Tony Morgan, puis Alain Huck accueille Gygi et Rittener.
Nous avons aussi essayé de travailler avec la mémoire du Rath, par exemple dans l’espace commun ingrat et administratif nous avons accroché, dans l’esprit des expositions du XIXe siècle, de grands tableaux de sorte que tout le monde puisse lever la tête et les admirer. C’est une réflexion sur le Rath comme lieu d’exposition et sur le Mamco comme machine à produire des situations. »

En rélaité, cet éclairage a déjà été mis en œuvre avec bonheur dans les années 90 par Werner Spies, alors directeur du Musée d’art moderne du Centre Pompidou.

Le 26 février, jour de l’inauguration, le Théâtre des Marionnettes de Genève montrait Les Chaises, la pièce d’Eugène Ionesco qui traite de l’obsession de « finir en beauté ». Ecco fato, enfin, à demi car le lendemain de l’inauguration, en matière d’art contemporain tous les médias vantaient le succès de l’affiche du Festival de Montreux créée par Sylvie Fleury.

Biens Publics
Musée Rath, Genève.
27 février au 26 avril.

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