Le charme silencieux des nuits genevoises

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Si les paysages nocturnes genevois sont magiques, le noctambule peut éprouver un sentiment de solitude. ©Alain Grandchamp / Ville de Genève.

Par une nuit de septembre, des équipes d’intrépides explorateurs de la nuit ont tenté et réussi la traversée de Genève en suivant dix parcours, totalement urbains pour certains et plus bucoliques pour d’autres. Ils ont tous ressenti le calme et le silence extrêmes propices à l’appréciation du coté magique des paysages urbains au coeur de la nuit. Ils ont par contre souffert de la faim, car si l’appétit s’est aiguisé au fil des kilomètres, entre deux heures et cinq heures du matin, il est impossible de se procurer un en-cas; auraient-ils voulu abandonner, ils n’auraient pas trouvé de moyen de transport public.

Ce 20 juin, la Conseillère administrative Esther Alder et le Maire de Genève Sami Kanaan ont présenté l’étude “Genève explore sa nuit” réalisée en collaboration avec le géographe et chercheur à l’Université de Grenoble Luc Gwiazdzinski. L’objectif principal est de mieux appréhender la pluralité des nuits urbaines de la région. La mise en oeuvre d’une politique de la nuit, qui se déroulera par étapes, vise à répondre à de nouveaux enjeux posés par les usages de la nuit, et ils sont nombreux comme les offres de sortie pour les jeunes à la desserte nocturne pour se rendre dans les quartiers festifs, ou la gouvernance des enjeux économiques et la promotion de l’offre nocturne comme atout touristique.

Hasard du calendrier, le même jour, le quotidien Libération exhumait une étude de 2009 qui pointe les défauts de la capitale française «Les nuits parisiennes sont nulles et ne sont pas à la hauteur de son rayonnement international, une des raisons tient au fait que le pouvoir étatique semble envisager avant tout la vie nocturne comme une nuisance. » La réflexion entretenue par les élus genevois prend alors tout son sens, contrairement à leurs homologues parisiens ils poursuivent l’action initiée par le précédent magistrat qui avait engagé le processus des “Etats généraux de la nuit” en avril 2011.

 

Intervention du Maire de Genève Sami Kanaan, 20 juin 2014.

C’est avec un plan d’action touchant à de nombreux domaines des missions municipales que la future politique de la nuit pour la Ville de Genève va se concrétiser.

La diversité des activités nocturnes, festives ou professionnelles, est extrême tandis selon ces observateurs l’offre culturelle manque de diversité. L’offre urbaine est jugée trop commerciale et ne correspond pas aux besoins d’une ville qui compte 25’000 jeunes qui ne sont de  loin pas tous assez fortunés pour fréquenter les établissements de nuit. Esther Alder a rappelé la nécessité de disposer de lieux abordables.
Les observateurs partagent les mêmes goûts avec le citoyen lambda, s’ils ont ont regretté le bruit, les incivilités, l’agressivité liée à l’ivresse dans certains quartiers, dans d’autres ils ont apprécié le silence, la tranquillité et la beauté des paysages.

Parmi les sujets qui vont longtemps faire l’objet de débats, relevons la question de la concentration ou la dispersion de l’activité nocturne, l’augmentation de l’offre de locaux aux loyers modérés, l’amélioration de l’hospitalité des espaces publics. La politique publique de la nuit en voie d’élaboration contient déjà plus de 60 propositions concrètes.

Berlin, Londres et Barcelone brillent la nuit, c’est un atout touristique

Les retombées économiques de l’offre nocturne commencent à être prises en considération, en France le secteur de la nuit pèse 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et il emploie 67 000 personnes. Pour leur rapport sur la compétitivité nocturne de Paris, des étudiants de l’Ecole de guerre économique ont comparé les offres de Berlin, Londres, Barcelone et Amsterdam, ils ont établi des « matrices SWOT» (forces, faiblesses, opportunités, menaces).

« Au registre des forces parisiennes : la diversité de l’offre, son histoire, ses événements mondiaux (Nuit blanche). Mais ses faiblesses sont beaucoup plus nombreuses : l’image d’une ville-musée, des transports chers, peu fréquents, le manque de renouveau, le dénigrement de la vie nocturne par les autorités, la réglementation, l’intégration difficile des minorités…
Londres brille par son offre pléthorique, sa liberté et ses transports, Berlin par sa jeunesse, son titre de capitale techno et l’implication des pouvoirs publics, comme à Barcelone qui communique sur son image festive, ou Amsterdam, qui possède un maire de nuit.

Les city breaks, c’est à dire des week-ends courts consacrés à la visite d’une capitale européenne, sont devenus une habitude chez les populations les plus aisées, et notamment les jeunes actifs. Dans cette reconfiguration des pratiques touristiques, le secteur de la nuit joue un rôle majeur. Ainsi, Londres se veut désormais la capitale de la culture « clubbing », Amsterdam exploite sa permissivité, Barcelone son côté festif et Berlin sa musique électronique. Toutes ces villes ont investi massivement dans ces secteurs, notamment au travers d’aides à la création artistique, d’organisation d’événements, d’amélioration de leurs réseaux de transport… Amsterdam s’est même dotée d’un « maire de nuit », pour favoriser les relations entre les acteurs socioéconomiques de la vie nocturne et la municipalité.»

Les lieux festifs seront-ils repoussés à la périphérie ?

La disparition et le non remplacement du site d’Artamis, la cohabitation difficile de L’Usine ou des établissements de la rue de l’Ecole-de-Médecine avec leurs voisins ont mis en évidence la nécessité de déplacer les infrastructures nocturnes vers l’extérieur. En 1982, le collectif Etat d’Urgence avait déjà alerté sur le manque de lieux nocturnes. En 2011, lors du débat de clôture des Etats généraux, l’Entente a préconisé l’implantation des lieux nocturnes dans des zones industrielles, par exemple dans le périmètre Praille Acacias Vernets, solution alors combattue par les milieux culturels qui pointaient le risque de transformer le centre-ville en cité-dortoir. La Tribune de Genève relevait cette inquiétude en octobre 2010 : “la mobilisation politique et culturelle suite à la fermeture de diverses boîtes de nuit s’organise. Mais où trouver des solutions? La zone industrielle de la Praille semble être le secteur idéal.”
En 2014, le quotidien britannique The Guardian attribue ce qu’il estime signer le renouveau de la vie nocturne parisienne au déplacement des fêtes à la périphérie de la capitale.

Plusieurs remèdes à l’ennui dont souffriraient les villes sont proposés par les différents rapports : développer une culture de nuit, encourager la diversification de l’offre non seulement selon une vision consumériste centrée sur un type de sortants, mettre à disposition des transports en commun, mélanger la vie nocturne et la culture, améliorer la sécurité, l’intégration des minorités, etc. La prise de conscience des enjeux économiques de l’activité nocturne favorisera également la mise en oeuvre de la politique de la nuit annoncée par Mme Alder et M. Kanaan.

… Suite de l’article le 23 juin

Voir également :

– La Ville de Genève a développé un site particulièrement complet relatant le déroulement de l’expérience et les objectifs politiques et écomomiques.
– Etude de l’Ecole de guerre économique. Rapport sur la compétitivité nocturne de Paris. (2009).
– Pourquoi la nuit parisienne fait-elle grise mine? Libération. 20 juin 2014.
– Comment Paris a sacrifié ses folles nuits. Rue 89.  1 décembre 2009.
– Nightlife reports: clubbing in Paris. The Guardian. 20 juin 2014.

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