En Egypte, le pouvoir redoute la puissance de l’art

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Contribution de l’artiste norvégien Dot Dot à la campagne #sisiwarcrimes

En Egypte, un groupe d’artistes comprenant un finlandais, un collectif basé en Allemagne et un peintre égyptien, a été publiquement accusé de terrorisme à la télévision pour avoir présenté des œuvres critiquant le général Sisi.

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Ganzeer.

L’accusation de « terrorisme », qui étonne peu quand elle est proférée dans un pays soumis à un régime dictatorial, est devenue en Europe, selon Giorgio Agamben, un outil de politique intérieure pour criminaliser des activités politiques qui n’ont rien à voir avec le terrorisme.

« Si nous sommes des terroristes, ce que nous ne sommes pas, ce qui est clair, indique l’artiste égyptien, pseudonyme Ganzeer, dans un article publié sur son site, car la seule chose que nous ayons faite est de créer des peintures contre le général. Dans ce cas, qui n’est pas un terroriste ? ».
L’artiste ne prend pas l’accusation d’être lié aux frères musulmans à la légère car l’ « organisation a été qualifiée de terroriste par le gouvernement égyptien et ceux qui y sont affiliés sont condamnés à mort lors de procès de masse ».

Au Caire, l’art commence à être considéré comme un outil dangereux, ainsi les graffitis ont été récemment interdits et leurs auteurs sont passibles de quatre ans de prison. Selon la revue d’art Hyperallergic qui rapporte les faits, Ganzeer estime que le général Sisi sait que le Street art a été un catalyseur lors de la révolution. « Le terme terroriste est maintenant agité par les gouvernements de la même façon que durant l’Inquisition espagnole ou les procès des Sorcières de Salem, et quiconque peut ainsi être accusé sans preuve. »

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New ART WAR, film poster, Ganzeer via Pinterest.

Ganzeer constate que « les progrès effectués dans son entreprise de réduire l’opposition au silence en s’attaquant aux ONGs, aux Frères musulmans, aux mouvements de jeunes et aux journalistes qui ne suivent pas la ligne officielle, et maintenant, à la fin de la chaîne, aux artistes de rue ». Dans sa réponse au responsable de la télévision, Ganzeer indique qu’il ne cessera pas son activité : « Si vous avez déjà rencontré un artiste, vous devez savoir que ceux-ci s’estiment seulement responsables vis à vis de leur conscience. Au contraire des journalistes qui peuvent craindre de perdre leur emploi, ou des ONGs qui peuvent redouter d’être fermées, ou des partis politiques qui peuvent voir leur activité interdite, moi je ne crains que de produire de l’art qui serait sans importance. Votre déclaration à mon sujet, en a simplement démontré la pertinence, ce dont je vous remercie. »

 

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Who is afraid of art. Ganzeer

L’antiterrorisme est la forme moderne de la sorcellerie

L’Europe n’a pas attendu Sisi pour user de l’accusation de terrorisme à l’encontre des activistes politiques et des simples citoyens. Ainsi Giorgio Agamben, dans un article paru dans la Repubblica en mai dernier, a défendu les manifestants du Val de Suse qualifiés par l’Etat de terroristes.« Il est évident que le délit de terrorisme, défini de la manière la plus générique possible, n’est pas destiné à combattre les organisations terroristes internationales, mais qu’il est utilisé en politique intérieure pour criminaliser des activités politiques qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. » Dans le cas du Val de Suse. il s’agit de la « population d’une petite vallée montagneuse qui s’oppose fermement à ce que l’endroit dans lequel elle vit soit rendu inhabitable par la construction d’une ligne à haute vitesse dont elle n’a aucun besoin mais que des intérêts étrangers lui imposent à tout prix. »

La législation contre le terrorisme et ce que l’on appelle les « raisons de sécurité » a été développée à un tel point que l’on pourrait affirmer que désormais tout citoyen n’est rien d’autre qu’un terroriste potentiel. « Si une manifestation dégénère, poursuit le philosophe, les possibilités de les sanctionner sont déjà inscrites dans code pénal sans qu’il y ait nécessité de recourir au délit de terrorisme que la conscience civile considère totalement incongru et disproportionné. » (traduit de l’italien)

En 2009, à l’issue de “l’affaire” de Tarnac, qui avait vu la remise en liberté de Julien Coupat, le député Arnaud Montebourg publiait une tribune dans laquelle il déclarait notamment « Julien Coupat, le romantique de Tarnac, coupable de ce qu’il pensait et de ce qu’il avait dans la tête, plutôt que de ce qu’il a fait, symbolise désormais la victime des abus judiciaires du régime. Il s’agissait d’inquiéter le pays en créant de toutes pièces et avec des grosses ficelles un ennemi politique imaginaire, « l’ultra gauche », reformulation contemporaine du bolchevique rouge vif au couteau entre les dents, lequel allait s’en prendre à vous, braves et honnêtes gens de France ».

Un certain François Hollande approuvait en dénonçant à son tour « l’hystérie sécuritaire». Giorgio Agamben relevait alors que « la seule conclusion possible de cette sombre affaire est que ceux qui s’engagent activement contre la façon (en tout point de vue discutable) dont les problèmes économiques et sociaux sont gérés sont considérés comme des terroristes potentiels. Nous devons avoir le courage de signaler clairement qu’aujourd’hui, de nombreux pays d’Europe (en particulier la France et l’Italie) ont introduit des lois et des mesures policières que l’on aurait auparavant jugées barbares et andi-démocratiques, et que celles-ci ne sont pas moins extrêmes que celles mises en œuvre en Italie sous le fascisme. Une autre, également importante, est l’adoption de lois pour criminaliser des associations et dont les formulations ont été laissées volontairement vagues pour permettre d’attribuer des « intentions » ou des « inclinaisons » terroristes à des actions politiques qui n’auraient jamais été considérées terroristes. (Traduit de l’anglais)

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Street-Art. Banksy. Pinterest.

Les manifestations sont importantes pour la démocratie

En janvier 2013, à Berne, lors d’un discours encore largement influencé par le printemps arabe, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d’association Maina Kiai déclarait : «Il y a une tendance, ces dernières années, à une réduction de l’espace dédié à la société civile», explique  sur le droit de réunion pacifique et d’association. La balance pencherait de plus en plus en faveur de la sécurité. Pour des démocraties, la possibilité de se réunir pour une cause et protester pacifiquement est extrêmement importante». Selon le rapporteur, il n’existerait aucun moyen de s’adresser au gouvernement de manière plus directe ou plus efficace. Les personnes qui sont mécontentes, manifestent leur sympathie ou leur antipathie, appellent à des changements politiques ou défendent une revendication. Celles-ci ne peuvent souvent pas faire entendre leurs préoccupations par d’autres moyens parce qu’elles n’ont pas accès aux grands médias. Il peut s’agir de minorités qui se rassemblent sur l’espace public, car elles ne se sentent pas suffisamment représentées par les partis politiques et les médias, ce qui ne suffit pas à faire d’elles des terroristes. Lors de son procès, Julien Coupat concluait : « l’antiterrorisme est la forme moderne de la sorcellerie ».

Mises à jour :
– 14 août 2014. Egypte: L’engagement de l’UE en faveur des droits de l’Homme en Égypte sonne creux. Organisation mondiale contre la torture. (OMCT).
– 3 juin 2014 : Abdel Fattah al-Sisi a été élu président de l’Egypte avec 96,1% des suffrages.

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